Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baisers sur ses seins, enfonce ses griffes dans sa chair ; elle l’écarte en passant sa main entre lui et sa poitrine ; la bête tombe à terre en faisant le bruit creux et sourd d’une vieille chaussure crevée. Tantôt il lui semblait que ses alimens se changeaient en araignées, en crapauds ; elle sentait le froid de ces animaux dans sa bouche ; elle vomissait. A diverses reprises, elle crut qu’un serpent se glissait dans son corps, s’insinuait dans toutes les parties, lui dévorait les entrailles. Une fois, cela dura huit mortelles journées, qui furent l’équivalent d’un purgatoire. Le plus choquant de ces épisodes est sûrement celui qui amena pour la neuvième fois Pierre de Dace à Stommeln. Aucune plume ne voudrait plus transcrire ces pages, que le bon Bollandus a copiées sans s’arrêter. D’autres épreuves, d’une nature plus délicate, sont racontées avec une touchante simplicité. Dans ces âmes étrangères à notre éducation raffinée, des sentimens doux et purs allaient fort bien à côté de grossièretés que personne maintenant n’essaierait d’excuser.

Le plus souvent, Christine cachait ses stigmates et témoignait du mécontentement quand on lui en parlait. Pierre était avide de les voir et saisissait les momens où les mains de son amie sortaient de ses voiles pour les apercevoir à la dérobée. Ils avaient d’ordinaire l’aspect de cicatrices rougeâtres, de la largeur d’un esterlin, sans profondeur, variant de grandeur. D’autres fois, ils ressemblaient à des croix rouges ornées de fleurs. Quelquefois on eût dit une croix principale, des bras de laquelle naissaient deux autres plus petites. D’autres fois enfin, la paume de la main montrait autour de la blessure centrale quinze taches rougeâtres, distribuées symétriquement. Les pieds offraient des blessures analogues et saignaient fréquemment. Enfin le front et le cœur présentaient aussi l’impression sanglante des plaies du Christ. A la vue de ces merveilles, la dévotion de frère Pierre éclatait en larmes, en cris d’enthousiasme, et quelquefois il employait des fraudes pour se procurer et procurer aux autres le spectacle qui le ravissait : « Un sentiment intérieur m’assurait, dit-il, que l’affection que j’avais pour Christine venait du ciel. » Un jour qu’il dut la porter entre ses bras dans une de ses épreuves, il ressentit une douceur qu’il n’avait jamais éprouvée jusque-là.

Ces délices spirituelles eurent leur fin vers Pâques de l’an 1269. Pierre de Dace reçut alors de ses supérieurs l’ordre de partir pour Paris, afin de continuer ses études de théologie. Échard fait remarquer qu’il dut y avoir pour maître saint Thomas d’Aquin. Pierre, en tous cas, ne perdit pas un moment à Paris le souvenir de son amie. Ce fut l’origine d’une correspondance qui s’étend du 10 mai 1269, jour de l’arrivée de Pierre à Paris, jusqu’au 27 juillet 1270, jour de son départ, et qui peut passer pour un des documens les