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bientôt de toi. » On parla beaucoup de cette singularité ; elle prétendit, le lendemain, n’en avoir aucun souvenir.

Pierre resta trois jours auprès d’elle, puis alla visiter son couvent de Cologne. Gérard de Griffon était devenu sous-prieur. Celui-ci aimait toujours Christine ; les deux frères ne causèrent que d’elle. Le 30 septembre, Pierre revint à Stommeln ; il y eut un beau dîner, donné par les béguines, et où assista toute la pieuse confrérie. On parla du miracle de sainte Agnès, tel que le rapporte la Légende dorée de cet anneau donné et accepté par l’image de la sainte en signe de noces mystiques. Cela excita vivement l’imagination de Christine. Elle affirma que pareille chose lui était arrivée : « Je vais, dit-elle à Pierre, te livrer un secret que je n’ai jamais révélé à personne vivante. Dès mon enfance, je vous ai connu en esprit, je savais discerner votre face et votre voix, et je vous ai aimé plus que les autres hommes, à tel point que j’ai souvent craint qu’il n’en résultât pour moi quelque tentation. Jamais, en effet, dans l’oraison, je n’ai pu séparer votre pensée de mon intention ; je priais pour vous autant que pour moi, et, dans toutes mes tribulations, je vous ai eu pour mon compagnon. Or, ayant longtemps demandé à Dieu si cela était de lui, j’en fus assurée le jour de la fête de sainte Agnès. Car, au moment de la communion, me fut donné visiblement un anneau, qui fut placé à mon doigt. Et quand vous me saluâtes pour la première fois, je discernai ta voix et je reconnus distinctement ton visage. Et plusieurs preuves m’en furent divinement données, que par pudeur je ne peux te révéler ; par exemple, je reçus souvent visiblement l’empreinte d’un anneau. » effectivement, le défunt curé disait avoir vu cet anneau, non pas peint sur la peau, mais inscrit dans la chair avec divers ornemens. Tantôt on y voyait la forme d’une croix, tantôt le nom de Jésus-Christ, tracé en lettres hébraïques, grecques, latines. Le maître d’école attestait la même chose.

Le 21 octobre, Pierre revint à Stommeln faire sa visite d’adieu, Il était à la lettre chargé de reliques. Le 24 au soir, eut lieu le dernier souper. Christine n’était pas triste comme d’habitude ; elle montrait même une certaine gaîté. En disant ses vêpres sous un arbre, elle avait reçu du Christ lui-même l’assurance que le voyage de Pierre serait heureux. « J’ai planté en moi votre amour mutuel ajouta le Christ, et je le conserverai en moi. » Le lendemain, après la messe, on dîna. Pierre fit la collation sur Convertere, anima mea, in requiem tuam, quia Dominus beneficit tibi et l’on se quitta en se recommandant à Dieu.

Les lettres recommencent à partir de cette date. De Lubeck Pierre écrit au moins trois lettres, l’une à Christine, l’autre au