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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/313

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Riazan, interrogé par le tsar sur ce qu’il pensait de la fuite d’Alexis, avait osé répondre : « Il n’y a rien à faire ici pour lui, il voulait vraisemblablement s’instruire à l’étranger. — Si tu me parles ainsi par manière de consolation, avait répliqué le tsar hors de lui, c’est bien; sinon, ce sont les paroles d’un Mazeppa. » Le prélat épouvanté était tombé malade de saisissement. Exaspéré par ces symptômes de défection, Pierre ne balança plus devant une mesure qu’autorisaient les principes encore flottans du droit monarchique en matière de succession; il résolut d’agir vigoureusement et rapidement. Le 31 janvier, Alexis rentrait dans sa chère Moscou; le lendemain, le conseil secret s’assemblait dès l’aube et donnait l’ordre de préparer la grande salle d’audience au Kremlin. Le 3 février, cette salle s’ouvrait pour recevoir le tsar, le haut clergé, les ministres et la noblesse. Les assistans pouvaient se croire reportés à quelque tragédie du temps d’Ivan le Terrible, dans cette pièce basse et sombre, théâtre des vieux drames moscovites, où la cour immobile du tsar se distingue mal des personnages historiques qui la regardent du fond d’or des murailles et des voûtes. Trois bataillons des préobrajenski entouraient le palais, les armes chargées. On introduisit Alexis comme un prisonnier d’état, sans épée, entre des sentinelles. Ce fut la première entrevue du père et du fils après cette longue séparation. Pierre prit la parole et reprocha durement à son fils ses désordres, sa jeunesse inutile, sa révolte, sa fuite, l’injure faite au souverain et à la patrie. Le coupable tomba à genoux en demandant la vie sauve et le pardon. Le tsar le releva et lui promit sa grâce, sous la condition qu’il renoncerait au trône et révélerait les noms de ses complices. Alexis remit aussitôt à son père une lettre en date de ce jour où il s’accusait de ses fautes et en implorait le pardon. Tous deux passèrent alors sans témoins dans une chambre voisine où le tsarévitch nomma ses principaux complices. Des courriers partirent sur l’heure pour en rechercher plusieurs à Pétersbourg. Quand le tsar et son fils rentrèrent dans la salle d’audience, le chancelier Chafirof lut l’acte de renonciation solennel, aux termes duquel le tsarévitch se déclarait justement privé de son héritage, jurait sur la sainte Trinité de ne jamais le revendiquer et de reconnaître pour souverain légitime son frère Pierre Pétrovitch. La cour se rendit processionnellement à l’église cathédrale du Kremlin; un prêtre ouvrit le livre des Évangiles ; Alexis prêta serment, la main sur le livre sacré, et signa l’acte dressé par le chancelier.

Le soir même, Pierre faisait publier un long manifeste à son peuple. Le tsar rappelait dans cet acte les peines prises par lui pour l’éducation de son fils, l’insuccès de ses efforts, les refus constans du prince de s’associer aux campagnes et aux travaux paternels; la conduite d’Alexis envers sa femme, morte de chagrin, les