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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/321

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cloué trois fois vingt-quatre heures sur une planche avec des chevilles de bois ; rien n’a pu le faire avouer. Le 14 mars, on l’a empalé à la troisième heure et il a expiré le lendemain de grand matin. Le lundi 16, l’évêque de Rostof a été roué, décapité après le supplice, le corps brûlé et la tête fichée sur un pal. Alexandre Kikine, l’ancien favori du tsar, a été rompu de même façon; on l’a tourmenté lentement, avec des repos, afin qu’il sentit bien la souffrance. Le second jour, le tsar est passé devant lui; Kikine était encore vivant sur la roue ; il a supplié qu’on lui fît grâce et qu’on lui permît d’entrer en religion. Sur le commandement du tsar, on lui a tranché la tête, qui fut exposée sur un pieu Le troisième était l’ancien confesseur de la tsarine, qui l’avait mise en rapport avec Gliébof ; il a été de même roué, décapité et brûlé. Le quatrième était un simple scribe, qui avait solennellement invectivé le tsar, en pleine église, pour l’injustice faite au tsarévitch[1]; comme on le rompait, cet homme dit qu’il avait un secret d’importance à révéler au tsar ; on le détacha et on le mena à Préobrajenski ; comme il était si faible qu’il ne pouvait prononcer une parole, on le confia aux soins des chirurgiens ; sa faiblesse augmentant encore, on lui trancha la tête, qui fut exposée, et on remit le corps sur la roue. On croit à ce sujet qu’il s’est ouvert secrètement au tsar et lui a révélé les causes de son zèle pour les intérêts du tsarévitch. — On en a fouetté et bâtonné d’autres à foison, on a coupé les narines à quelques-uns avant l’exil en Sibérie. Une dame de qualité, de la famille des Troïékurof, a subi le fouet ; une autre, de la famille des Golovine, a été passée par les baguettes. La princesse Golitzyne, apparentée aux plus hautes maisons, a été conduite à Préobrajenski; là, dans la cour de la question, au milieu d’un cercle d’une centaine de soldats, on l’a couchée à terre et grièvement battue de verges; puis on l’a rendue à son mari, qui l’a renvoyée chez son père. — Sur la grande place devant le Kremlin, où eurent lieu les exécutions, on avait élevé un échafaud quadrangulaire en pierre blanche, haut de six coudées, et entouré de pieux de fer sur lesquels étaient fichées les têtes; au sommet se trouvait une pierre carrée d’une coudée, où étaient entassés les corps des suppliciés ; celui de Gliébof les dominait. — On raconte (mais c’est peut-être pour effacer la mauvaise impression produite dans le peuple par le supplice d’un évêque), que le secrétaire auquel était confiée l’exécution de Dosithée s’est trompé ; au lieu de trancher la tête et de brûler le corps comme il en avait l’ordre, il a roué l’évêque. Quand on lui a demandé pourquoi il avait agi de la sorte, il a répondu

  1. Dokoukine, sans doute, dont nous avons parlé plus haut; sa condamnation devait être d’une date antérieure, car il n’est pas fait mention de lui dans les actes du grand procès de Moscou.