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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/323

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à Pétersbourg vers la fin d’avril. Le jour de Pâques, à la réception de l’impératrice, Alexis se jeta aux pieds de sa belle-mère et la supplia avec larmes de lui procurer le consentement paternel pour son mariage. — Ces enfantillages n’étaient plus de saison ; on y répondit en enfermant Euphrosine à la forteresse pour procéder à l’interrogatoire de cette fille.

Si les âmes sensibles de ce temps attendaient d’elle quelque action cornélienne, elles furent cruellement déçues par l’événement. La serve, voyant tout sombrer autour d’elle, ne pensa plus qu’à son salut et livra froidement celui qu’elle avait contribué à perdre. Le 30 avril, Euphrosine fut amenée, dans une barque fermée, à la résidence de Péterhof ; le tsar voulut l’interroger en personne et lui posa des questions minutieuses sur tous les faits, gestes et paroles d’Alexis durant sa fuite à l’étranger. La déposition de ce témoin de chaque jour fut précise et accablante. Elle rapporta fidèlement le sens de toutes les lettres séditieuses adressées par le tsarévitch à l’empereur Charles VI, au comte Schœnborn, à ses amis de Russie; elle produisit la minute de la lettre aux évêques[1]; ces lettres avaient été écrites par le coupable sans aucune pression, de son propre mouvement. Les espérances secrètes d’Alexis, telles qu’il les avait confiées maintes fois à sa maîtresse furent mises à nu; il attendait et désirait une révolte des troupes russes, pour accourir à l’appel des mutins et détrôner son père. Un jour, il avait dit que, d’après des nouvelles particulières de Russie, cette révolte éclaterait prochainement aux environs de Moscou : « Voici que Dieu fait son œuvre, » avait-il ajouté. Son espoir était dans le sénat : « J’éloignerai tous les vieux, je me choisirai de nouveaux serviteurs parmi les jeunes... Quand je serai le maître, j’abandonnerai Pétersbourg et vivrai à Moscou... Je détruirai la flotte... Si mon père vient à mourir, il compte que sa femme régnera après lui, mon petit frère étant trop jeune; mais il y aura un soulèvement et beaucoup seront pour moi, je sais lesquels. » — Ces phrases et d’autres semblables, si bien faites pour exaspérer le souverain jaloux, le créateur de Pétersbourg et de la flotte, reviennent sans cesse dans la longue déposition, d’une écriture gauche et tremblée, rédigée et signée par Euphrosine sous les yeux du tsar. Elle s’efforce ensuite de rappeler les noms qu’Alexis citait de préférence parmi ceux des personnages sur lesquels il comptait; elle termine en constatant

  1. Dans cette lettre, où il se rappelait au souvenir de ses amis, le tsarévitch leur disait : « Présentement, ne m’abandonnez pas, présentement. » Puis il avait effacé le mot répété deux fois. Dans ce mot, lu sous la rature, on voulut voir un appel immédiat à la révolte, et cette répétition fut un des chefs sur lesquels on tourmenta Alexis avec le plus d’insistance.