Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nom de Titof, le 27 juillet 1718. L’auteur de la lettre raconte que, dans la nuit du 25 au 26 juin, Tolstoï, Boutourline, Ouchakof et lui Roumiantzof furent mandés chez le tsar; ils trouvèrent leur souverain avec Catherine et l’archimandrite Théodose. Pierre, en proie à une vive agitation, suppliait le prélat de l’absoudre et de lui donner sa bénédiction : l’archimandrite s’étant écrié : « Que ta volonté se fasse, ô sire, suivant que le ciel t’inspire! » le tsar se tourna vers ses officiers, leur rappela leurs fidèles services et leur dit qu’il comptait sur eux pour le débarrasser en secret du criminel Alexis, afin de ne pas infliger au sang impérial le scandale d’une exécution publique. Tolstoï, Roumiantzof, Boutourline et Ouchakof se rendirent sur-le-champ à la citadelle, au quartier du tsarévitch, qui dormait ; ils congédièrent les gens de service et les gardes. A partir de ce point nous traduisons textuellement.

« Nous ouvrîmes sans bruit la porte de la pièce où reposait le tsarévitch; une lampe brûlant devant les saintes images l’éclairait faiblement. Le prince sommeillait, il s’était découvert et, comme si quelque vision d’épouvante le poursuivait, il gémissait fréquemment. Se sentant très faible la veille au soir, il avait communié pour se réconforter, et depuis ce moment il allait mieux, si bien que les médecins donnaient plein espoir de le voir se rétablir. Aucun de nous n’osait troubler son repos; nous nous assîmes. On dit: « Ne serait-il pas mieux de le livrer à la mort durant son sommeil et de lui épargner les cruelles angoisses? » — Pourtant nous eûmes conscience de le faire mourir sans prière. Mû par cette pensée et prenant courage, Tolstoï toucha doucement le tsarévitch, avec ces mots : «Altesse! levez-vous! » — Il ouvrit les yeux, ne comprit pas, se dressa sur son séant et nous regarda, muet de saisissement. Tolstoï se pencha vers lui : « Altesse ! les grands de la terre russe vous ont condamné à mort, pour vos trahisons envers le tsar, votre sire et votre père. Par ordre de Sa Majesté, nous venons à vous pour exécuter cette sentence ; préparez-vous par la prière et le repentir à sortir de ce monde, car votre vie touche à son terme. » — A peine le prince eut-il ouï ces paroles qu’il poussa un grand cri, appelant au secours. Voyant que personne ne répondait, il commença à sangloter et à se plaindre : « Malheur à moi, malheur à moi, misérable fruit du sang royal! N’eût-il pas mieux valu naître du dernier des sujets? » — Tolstoï essayait de le consoler, lui disant : « Le tsar t’a pardonné comme père et priera pour ton âme; comme monarque, il ne peut pardonner tes crimes, de peur que tu ne causes la ruine de la patrie. Trêve donc aux larmes et aux sanglots, laisse-les aux femmes, accepte ton destin comme il convient à un homme de race royale. Fais ta dernière prière pour le salut de ton âme. » — Mais le tsarévitch ne l’écoutait pas, il maudissait