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enseignez la « botanique du péché » avec la manière de s’en servir; en religion enfin, vendez à bon marché absolutions, messes et indulgences, mettez le paradis au rabais, montrez l’art d’arriver au ciel tout en faisant le long du chemin l’école buissonnière, en un mot préparez vos disciples, fortiter et suaviter, par les procédés les plus expéditifs et les plus agréables au grand examen du jugement dernier, — vous ferez fortune, alors même que vous auriez fait vœu de pauvreté. Plus un gouvernement est démocratique, plus il a le devoir de lutter contre cet abaissement intellectuel dans tout ce qui dépend de sa juridiction propre, et de maintenir haut les principes de morale et de droit public sur lesquels il repose par la volonté générale[1]. Quand, avec un mince bagage d’idées et un lourd poids d’x et d’y, certains jeunes hommes entrent à l’École de Saint-Cyr ou à l’École polytechnique, ils sauront peut-être résoudre une équation ou un problème de physique : je veux même croire qu’ils feront d’excellens officiers ou d’excellens ingénieurs, qu’ils deviendront de bons instrumens de précision pour la guerre ou l’industrie; quant à ce qui fait l’homme et le citoyen, ce sera à la grâce de Dieu. Faut-il s’étonner ensuite de voir déjà, dans les écoles du gouvernement, les élèves se partager en deux camps selon leurs croyances et préluder ainsi aux hostilités à venir? Il serait pourtant désirable que la bifurcation n’existât pas dans les esprits comme dans les études et n’envahît point la France entière. Si on exigeait d’abord pour l’entrée aux écoles, puis pendant le séjour aux écoles, de fortes études de philosophie morale, sociale et politique, les élèves auraient beau arriver en droite ligne des officines mêmes de la compagnie de Jésus, ils seraient forcés de faire enfin connaissance avec les idées modernes : mieux vaut tard que jamais. Ils subiraient l’influence d’une philosophie libérale ; ils seraient initiés à une morale vraiment civique, à une connaissance raisonnée des principes de notre droit et de notre gouvernement. Ce serait l’article

  1. Si on prétend qu’un certificat d’études exigé par l’état serait un obstacle à la « libre concurrence,» nous répondrons encore par une excellente observation de M. Jules Simon: « L’état n’est le concurrent de personne; il est la puissance publique, fondée sur la volonté nationale. Il peut y avoir des corporations dans l’état avec la permission et sous l’autorité de l’état; mais ces corporations n’entrent pas en lutte avec lui; elles ne lui font pas concurrence. Il ne peut se proposer, étant la puissance commune, que l’intérêt commun, et l’idée de concurrence est tout à fait étrangère aux établissemens qui ont pour but l’intérêt commun et non quelque intérêt particulier. » (Réforme de l’enseignement, p. 55.) D’où nous concluons que le prétendu droit de concurrence des établissemens libres à l’égard de l’état n’est point absolu et doit être renfermé dans de certaines limites quand il s’agit de préparer aux fonctions mêmes de l’état. «L’état, a-t-on dit, impose une certaine quantité d’instruction pour garantir la liberté et l’égalité du vote de tous les citoyens; l’état distribue dans les écoles publiques une certaine qualité d’instruction pour assurer le maintien de la constitution qui est, dans tous les pays libres, la sauvegarde des libertés publiques.» (Th. Ferneuil, ibid., p. 31.)