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une société monarchique, où toute l’éloquence consistait à débiter des complimens, comme le célèbre discours du recteur de l’Université à Louis XIII : «Sire, ce cierge que nous venons offrir à Votre Majesté n’est pas pour vous porter de la lumière, mais pour la recevoir de vous, qui, l’unique et très agréable soleil de la France, éclairez de vos rayons les parties les plus éloignées de l’univers, etc.[1]. » Mais dans une démocratie la rhétorique devient un véritable danger. Les autres nations nous reprochent, parfois avec quelque raison, d’être un peuple d’avocats, de rhéteurs et de prédicateurs : la faute en est aux traditions du vieil enseignement. Non-seulement ce genre d’enseignement n’apprend pas la morale aux enfans, mais encore il les démoralise par la rhétorique, et nous récoltons ensuite dans la vie publique ce que les partisans des vieilles méthodes ont semé au collège. Si encore le véritable goût du beau profitait! mais la déclamation et l’amplification sont au contraire les plus sûrs moyens de pervertir le goût littéraire comme le sens moral. Les mêmes élèves qui viennent de faire parler César ou Brutus, ad libitum, seront incapables d’écrire une lettre ; et quand ils entreront en philosophie, beaucoup ne sauront pas, dans une composition sérieuse, mettre en ordre deux idées ou deux argumens : il faudra tout leur apprendre en lâchant de leur faire oublier tout ce qu’ils ont appris.

Selon nous, la rhétorique ne doit être qu’une application particulière et secondaire de l’esthétique, de la logique et des sciences morales. Dès lors, ce qu’il importe de faire connaître aux enfans, si on veut qu’ils sachent parler et écrire par le seul moyen honnête, — savoir penser, — c’est l’esthétique et la logique. Après quelques considérations générales sur le beau et ses diverses formes, sur le génie et le goût, sur l’art et sur la part de l’idéal et du réel dans l’art, sur les rapports de l’art avec la morale et la science, le programme de seconde comprendrait, avec une leçon par semaine, des notions élémentaires sur la théorie et l’histoire de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, de la musique, de la poésie lyrique. La poésie épique, la poésie dramatique, l’éloquence et les autres genres littéraires seraient réservés pour la classe de rhétorique; les hautes spéculations sur l’essence de l’art et de la beauté, pour la classe de philosophie. Cet enseignement serait moins dogmatique que critique et historique : il serait surtout, comme disait Pestalozzi, intuitif, c’est-à-dire sans cesse appuyé sur des exemples parlant aux sens et à l’esprit. On étudierait le beau sur le vif et non dans l’abstrait : on appliquerait à l’esthétique

  1. Voir le discours tout entier dans le livre de M. Simon sur la Réforme de l’enseignement secondaire; M. Simon y voit avec raison le type des discours de collège.