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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/357

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l’excellente méthode des leçons de choses, si féconde dans l’enseignement primaire, si négligée dans l’enseignement secondaire, qui, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, est encore arriéré et inférieur. Plusieurs professeurs ont déjà demandé avec beaucoup de raison qu’il y eût dans les lycées un mobilier scolaire analogue à ceux des écoles. Peut-on faire un cours de physique ou de chimie sans instrumens et sans expériences? Non. De même, pour les lettres et les arts, il ne suffit pas d’avoir des bibliothèques : il faut encore des gravures représentant les principaux chefs-d’œuvre de l’art, des vues ou des photographies des principales villes historiques, comme Athènes, Rome, Florence, des plâtres reproduisant les modèles de la sculpture, des réductions des édifices célèbres, des spécimens de colonnes, de fûts, de frontons, d’ogives, etc. Tout l’enseignement, en général, devrait faire voir les choses dont il parle, surtout l’enseignement de l’histoire et de l’esthétique. Par là encore nous reviendrions à la véritable méthode classique, qui voulait que l’enfant fût entouré des chefs-d’œuvre de l’art, élevé dans la familiarité avec le beau, afin de devenir, selon le mot de Platon, « semblable à l’objet de sa contemplation[1]. » En outre, une telle méthode chasserait de nos classes cet ennemi invisible et présent qui siège à côté du professeur, comme Luther croyait que le diable siégeait parfois dans sa chaire pour empêcher ses auditeurs d’écouter : je veux parler de l’ennui. Quand on aurait montré aux élèves l’Acropole, le Parthénon, le Forum, le Colisée, l’arc de Trajan, croit-on qu’ils ne s’intéresseraient pas aux faits dont ces monumens furent les témoins et aux arts qui florissaient alors? Les vers de Sophocle et de Virgile, les récits de Thucydide ou de Tacite ne produiraient-ils pas un sens, au lieu de rester lettre morte pour la plupart des élèves? Toutes les fois qu’un professeur, sous le régime actuel, hasarde une excursion de ce genre dans la philosophie de l’art et dans son histoire, on voit les plus paresseux prêter l’oreille à ce qu’on leur dit, regarder avec intérêt ce qu’on leur montre : nous en parlons par expérience, et nous nous souvenons que, si par hasard au milieu d’une leçon de ce genre quelque écolier espiègle voulait détourner l’attention, c’étaient ses camarades eux-mêmes qui le rappelaient aussitôt à l’ordre. Il suffisait d’ailleurs au maître de proférer cette menace : « Revenons au Conciones » pour qu’un tolle s’élevât contre le perturbateur de l’attention générale. Car, telles qu’on les

  1. « Il faut que nos jeunes gens, élevés au milieu des plus beaux ouvrages, comme dans un air pur et sain, en reçoivent sans cesse de salutaires impressions par les yeux et les oreilles, et que dès l’enfance tout les porte insensiblement à imiter, à aimer le beau et à établir entre lui et eux un parfait accord. » (Platon, République, III.)