Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’Ecole polytechnique et à Saint-Cyr[1]. Malgré ces additions nécessaires, notre enseignement supérieur sera encore, sous le rapport de la philosophie, bien en arrière des universités allemandes; l’Allemagne a plus de cent quarante cours où sont librement abordés les sujets les plus divers, y compris le darwinisme, la critique des religions et les questions sociales; en France, nous avons dans nos facultés une vingtaine de cours où le professeur s’en tient parfois à des études techniques et abstraites, sans oser toucher directement aux grands problèmes contemporains. La faculté de Paris n’a que deux cours de philosophie réguliers et un troisième additionnel; Leipzig à elle seule possède dix-huit chaires de philosophie, Berlin quatorze, Gœttingen huit, Heidelberg sept, Iéna huit, Halle huit, etc.

C’est un philosophe, Fichte, ce sont des esprits philosophiques comme Schleiermacher et Guillaume de Humboldt, qui ont organisé les universités allemandes, principalement celle de Berlin, laquelle compte aujourd’hui à elle seule pour les diverses sciences cent soixante-cinq chaires. L’Allemagne ne s’en est pas trouvée plus mal, puisque cet essor des sciences et de la philosophie fut en réalité le commencement et la première préparation de ses récentes victoires. Les revanches dans l’instruction et l’éducation, les revanches intellectuelles et morales, sont les meilleures, et elles sont la condition de toutes les autres. « Résister, disait Fichte dans son onzième discours à la nation allemande, prononcé au bruit du tambour français, opposer la force à la force, nous ne le pouvons plus, cela saute aux yeux. Notre existence est ruinée. L’éducation seule peut nous sauver de tous les maux qui nous écrasent. L’étranger,

  1. Les examens d’admission à ces écoles devront aussi faire une part à la philosophie morale et sociale, qui n’est pas moins importante, ce semble, que la littérature et l’histoire, sur lesquelles on se montre déjà sévère, et à bon droit. Les élèves d’ailleurs ne s’en plaindront pas. Nous nous rappelons encore les regrets qu’exprimaient chaque année devant nous les bons élèves de sciences et les candidats aux écoles du gouvernement sur le peu de temps que le professeur de philosophie était obligé de leur consacrer : une heure par semaine. Pendant cette heure, ils nous faisaient question sur question, s’intéressant à tous les grands problèmes, oubliant volontairement leurs prochains examens pour s’occuper de morale politique, d’économie politique, de politique générale, de cosmologie, de philosophie de l’histoire : « Monsieur, expliquez-nous ceci; monsieur, que pensez-vous de ce sujet? » Nous prolongions la conférence dans ces causeries socratiques jusqu’à ce que le censeur vînt littéralement nous arracher les élèves pour les ramener à l’étude. Nous nous en allions alors en déplorant que tant de bonne volonté, tant de noble curiosité, tant de forces vives chez la jeunesse restassent sans emploi ou sans culture, grâce à la mauvaise économie des programmes, surchargés d’inutilités et insuffisans pour le nécessaire. Beaucoup de ces jeunes gens sont aujourd’hui ingénieurs ou officiers, et nous savons qu’ils applaudiraient à l’introduction d’études philosophiques sérieuses dans les programmes scientifiques.