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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/381

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en lumière les aperçus nouveaux que les Mémoires de Saint-Simon ne nous avaient pas offerts. Ce qui importe avant tout, c’est de vérifier ce qu’a d’original l’ouvrage inédit du grand écrivain, ce qu’il ajoute à l’histoire bien connue du XVIIe siècle, si l’attachement envers la mémoire de Louis XIII a fait de cette œuvre une défense intéressée et partiale, ou si l’esprit de l’auteur est demeuré libre. Pour cette étude, nous avons tout avantage à rétablir l’ordre des temps.


I. — HENRI IV.

Saint-Simon saisit Henri IV au sortir de l’enfance. « Fils d’un père, roi de Navarre, dit-il, moins fort que la tempête dont sa vie fut agités, et d’une mère courageuse que rien ne put abattre que le poison qui lui fut donné pour présent de noces de son fils en 1572[1], » Henri rencontra de bonne heure les contretemps et les traverses les plus propres à former un caractère, bien différent en cela de son fils et de son petit-fils, qui devaient être élevés au milieu des splendeurs royales, « Mais que servent tant d’avantages, remarque Saint-Simon, quand ils ne sont qu’extérieurs? et de quoy nuisent les dehors difficiles et pauvres, quand on sçait en faire un grand usage? Jeanne d’Albret, vertueuse, courageuse, instruite par ses besoins, nécessairement appliquée à son petit estat, à son parti, à sa famille, par les orages dont elle fut si continuellement battue, donna une excellente éducation à son fils, l’instruisit et le fît instruire par ce qu’il y avoit de meilleur dans son parti, et il y avoit d’excellents hommes en tous genres qui luy apprirent, sans luy abattre l’esprit, non des sciences vaines et fades pour un prince, mais tout ce que devoit sçavoir un prince qui avoit besoin de tout et qui ne pouvoit prospérer qu’à force de courage, de suite et d’industrie et qui devoit lutter sans cesse contre les tempêtes du dehors et du dedans. » (P. 6.) Elle avait mis son fils « sous la direction du plus avisé capitaine, du plus sage, du plus honneste homme de son tems, » et, lorsqu’Henri eut « le malheur de le perdre presque en même temps que la reine, sa mère, à la Saint-Barthélémy où ce grand homme fut si indignement massacré pour l’ouverture de cette abominable tragédie, » Henri IV n’avait pas encore dix-neuf ans. « Retenu prisonnier dans une cour où le débordement étoit devenu une politique, » il s’échappe à vingt-trois ans, et le premier obstacle qu’il eut à vaincre fut « la nécessité de se

  1. Nous tenons à prévenir dès ce moment le lecteur que nous ne nous arrêterons pas à chacune des allégations hasardées de Saint-Simon. Nous ne relèverons que les erreurs de jugement, laissant à d’autres le soin de se livrer sur les faits à une critique plus étendue.