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quoyque catholique, avoit du crédit en Allemagne et beaucoup de considération dans les cours protestantes de son païs ; de Thou passoit dans les deux partis pour un magistrat également éclairé, modéré et sans reproche, bon et vray catholique et toutes fois agréable aux huguenots; Jeannin, le plus habile, le plus adroit, le plus accort de tous, avoit esté secrétaire du duc de Mayenne dans le plus fort temps de la ligue, avant et après les derniers estats de Blois de laquelle il connoissoit à fonds tous les replis et tous les personnages ; c’estoit luy qui avoit lié les premières démarches de paix, qui estoit secrettement entré dans les premières négociations qu’il avoit suivies jusqu’à l’accommodement du duc de Mayenne auquel il estoit demeuré attaché très confidemment : quoyque devenu ministre d’Henry IV, il ne pouvoit donc estre suspect à Rome, ny aux catholiques, et avoit par ses lumières et sa capacité de quoy imposer aux catholiques factieux. » (P. 135, 136, 137.)

Ainsi le gouvernement, comme les vertus militaires et l’éducation d’Henri IV, donnent lieu à une suite d’éloges qui seraient sans ombre si les mœurs du roi et sa faiblesse vis-à-vis de serviteurs ou d’alliés indignes ne provoquaient parfois de justes critiques; Saint-Simon ne fait pas un panégyrique aveugle, il n’entend pas davantage sacrifier Henri IV à son fils. A ceux qui, en défiance du dessein de l’auteur seraient tentés de le penser, il suffit de montrer les deux portraits d’Henri IV que nous rencontrons au cours du Parallèle. Aussi bien cette citation aura-t-elle une double utilité : elle vengera Saint-Simon du soupçon de vouloir rabaisser le père de Louis XIII et prouvera mieux que tout développement l’incroyable abondance de style d’un écrivain qui reprend si aisément un même sujet, sans tomber dans la monotonie d’une redite.

« L’application de ce monarque à toutes les parties du gouvernement à travers ses plaisirs et ses amusemens et la capacité singulière qu’il fist paroistre en toutes, est peut être la plus grande louange qu’un roy puisse mériter, décorée encore plus par la manière dont il gouvernoit, qu’il deust tout entière à l’habitude des angoisses et des nécessités de son premier estat de chef de parti et des premières années de son règne ; la grande et successive connoissance que ces temps fâcheux lui avoient acquise de tous les personnages et du sous-ordre encore des personnages, luy donna la facilité du discernement à s’en servir précisément aux emplois et aux affaires qui leur convenoient pour l’utilité qu’il s’en proposoit, ce qui, joint à l’habitude et à la connoissance des affaires qui luy estoient venues de la même source et qu’il prit toujours soin d’entretenir, luy acquit une aisance incomparable et une justesse extrême à voir, à comprendre, à demesler, à se décider, à ordonner, à suivre tous genres d’affaires et de détails