Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le faire parmi ce redoutable reste de ligueurs qui, ayant Rome et l’Espagne en croupe, n’étoit occupé qu’à rendre la conversion du roi plus que suspecte, à crier qu’il sacrifieroit toujours les catholiques à ses anciens amis, et n’avoit de pensée qu’à rallumer les feux que la valeur et l’adresse d’Henri venoient d’éteindre... Les huguenots n’étoient pas plus aisés à gouverner; ils étoient accoutumés depuis si longtemps à tout obtenir qu’ils ne pouvoient se résoudre à déchoir sous un roi dont ils s’étoient figuré avoir droit de tout prétendre et de tout emporter pour avoir été nourri parmi eux, avoir été longtemps leur chef pour seule existence effective et avoir tant contribué à le faire véritablement roy. Outre ces raisons générales à tout le parti, ils avoient aussy leurs ligueurs, leur appuy des protestants de toute l’Europe avec qui Henry avoit un si puissant interest de ne se pas brouiller. Ils avoient des factieux qui ne respiroient qu’un renouvellement de prise d’armes et des chefs, tels que le maréchal de Bouillon, qui souffloient le zèle et le feu pour se mettre à découvert à la teste du parti, traiter ainsy avec leur roy de couronne à couronne, et dont le but particulier estoit de mettre le parti sous la protection d’un souverain protestant dont Bouillon seroit lieutenant général, exerceroit toute son autorité, l’auroit en croupe luy et les autres protestans, feroit ainsy un estat dans un estat et deviendroit en quelque sorte égal au roy, comme se trouvant l’un et l’autre chefs de chacun un parti égal en nombre et en force, mais inégal en appuys, parce que le parti huguenot seroit assuré par la puissance de son protecteur estranger et des autres protestans, tandis que Henry ne pourroit se fier à l’impuissance temporelle du pape, ni à la jalousie et à l’infidélité de la maison d’Autriche et de Savoye; aussi n’y eut-il rien que Bouillon ne fist pour empescher l’édit de Nantes et irriter les huguenots sur tous ces points. Ce fut donc le chef-d’œuvre de la sagesse, de la connoissance et de la patience d’Henry IV d’estre venu à bout d’une affaire si peu possible, et d’avoir ouvert assés les yeux aux huguenots pour leur faire sentir l’interest particulier et les veues pernitieuses de Bouillon et de sa cabale parmi eux, et en même temps leur avoir pu persuader, comme en secret des catholiques, tous les avantages réels qu’ils tiroient des articles de l’édit; en même temps aussy il les exténuoit (amoindrissait) aux catholiques et les effrayoit par la crainte des nouveaux troubles et des désolations dont la France ne faisoit que de sortir, et il leur montroit la séditieuse et perverse intention de ce zèle affecté de ce reste de factieux de la ligue qui ne songeoient qu’à se ramener d’où on les avoit tirés avec tant de périls, et mis hors d’estat de plus entreprendre et après de se soustenir. Le choix des rédacteurs de l’édit fut encore un admirable trait de politique : Schomberg,