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et les formes, à quoy ils avoient toujours tendu. Ainsy gloire, autorité, politique, religion, tout fut mis en avant sans contradiction de personne et sans que le roy, charmé d’une si belle proposition, y formast la moindre difficulté. Tout aussitôt donc on mit la main à l’œuvre. Avec la révocation de l’édit de Nantes, il parut une foule de déclarations qui se suivirent plus cruelles les unes que les autres ; les provinces furent remplies de dragons qui vescurent à discrétion chez les huguenots de toutes les conditions et qui joignirent les tourmens corporels à la ruine dont beaucoup moururent entre les mains de ces bourreaux. La fuitte estoit punie comme l’opiniastreté dans l’hérésie, et les galères furent remplies des plus honnestes gens et des plus accommodés, comme les prisons de leurs femmes et leurs filles. Une infinité se rachepta de la tyrannie par des abjurations simulées; les dragons qui les ruinoient et les tourmentoient hier les menoient aujourd’huy à la messe, où ils abjuroient, se confessoient et communioient tout de suite, sans remettre le plus souvent au lendemain. La pluspart des évesques se prestèrent à cette abomination où les intendans des provinces présidoient, c’estoit à qui se signaleroit le plus. Le roy recevoit à tous momens des listes d’abjurations et de communions par milliers de tous les endroits des divers diocèses. Il les montrait aux courtisans avec épanouissement, il nageoit dans ces millions de sacrilèges comme estant l’effet de sa piété et de son autorité, sans que personne osast tesmoigner ce qu’on en pensoit, et chacun au contraire se distinguant à l’envi en louanges, en applaudissemens, en admirations, tandis que chacun estoit pénétré de douleur et de compassion et que les bons évesques gémissoient de tout leur cœur de voir les orthodoxes imiter contre les hérétiques ce que les tirans payens et hérétiques avoient fait contre la vérité, les confesseurs et les martyrs : ils pleuroient amèrement cette immensité de sacrilèges et de parjures, et tous les bons catholiques avec eux ne pouvoient se consoler de l’odieux durable et irrémédiable que de si détestables moyens répandoient sur la véritable religion. Le roy se croyoit un apostre, il s’imaginoit ramener les temps apostoliques où le baptesme se donnoit à des milliers à la fois, et cette yvresse soustenue par des éloges sans fin, en prose et en vers, en harangues et en toutes sortes de pièces d’éloquence, luy tint les yeux hermétiquement fermés sur l’Évangile et sur l’incomparable différence de sa manière de prescher et de convertir d’avec celle de Jésus-Christ et de ses apostres. »

« Cependant le tems vint qu’il ne put ne pas voir et sentir les suittes funestes de tant d’horreurs. La révocation de l’édit de Nantes, sans le plus léger prétexte et sans aucun besoin, immédiatement