que la peinture de Michel-Ange. Il sera vrai, par exemple, en peinture comme en poésie, que tous les détails d’une œuvre devront être ordonnés par rapport à un centre de perspective unique, La faute est égale, et diminue pareillement d’un degré la valeur de l’œuvre, quand Corneille, écrivant Horace, implique trois actions l’une dans l’autre, et quand Raphaël, peignant l’École d’Athènes, nous place à un point de vue pour l’architecture et à un autre point de vue pour les personnages. Leur en faire un mérite, — et on l’a fait, — c’est d’une superstition puérile, à peu près comme si l’on louait l’Apollon du Belvédère d’avoir, ce dit-on, je ne sais qu’elle épaule plus étroite que l’autre, et les jambes inégales. Ces lois générales et suprêmes, Diderot les connaît ou, pour mieux dire, il les soupçonne, car, après tout, le plus grand effort de l’esprit humain ne va guère qu’à les entrevoir. Il a même donné, de quelques-unes d’entre elles, quelques-unes des expressions les plus heureuses qu’on en puisse donner.
Mais en dehors de ces lois générales — au-dessus, au-dessous, à côté d’elles? je n’en sais rien ni n’ai besoin d’en rien savoir, — il y a des lois particulières, qui ne dépendent plus ou qui dépendent bien moins de la constitution de l’esprit humain que de la nature des moyens d’expression propres et exclusifs à chacune des grandes formes de l’art; lois spéciales, lois techniques, lois enfin qui ne sont plus données a priori, mais qui se créent elles-mêmes et d’elles-mêmes a posteriori, c’est-à-dire à mesure du progrès de l’art, La beauté d’un poème ou d’un tableau dépend assurément de ce que ce poème ou ce tableau font d’impression sur l’esprit, et du choc, pour ainsi dire, qu’en reçoit la sensibilité, mais elle dépend aussi de la matière avec laquelle et sur laquelle travaillent le peintre et le poète, et de la manière dont ils l’ont traitée. La manière de Raphaël ou de Racine, c’est la touche de l’un, c’est le style de l’autre, dans l’un et l’autre cas. c’est l’espèce de maîtrise que le génie de Racine exerce sur la matière de l’art d’écrire comme le génie de Raphaël sur !a matière de l’art de peindre. C’est pourquoi vous noterez que toutes les grandes révolutions littéraires sont des révolutions de la langue. Chez nous, en France, à bien regarder l’histoire de notre littérature, c’est la langue, d’abord et en définitive, que tous les novateurs ont révolutionnée dans son fonds ; Ronsard, Malherbe, Boileau, Jean-Jacques, Chateaubriand, Victor Hugo. Tout de même, les grandes révolutions de l’histoire de l’art sont des révolutions dans le matériel même de l’art. Considérez seulement la distance franchie dans le passage de la mosaïque à la fresque, et de la fresque à la peinture à l’huile. Voulez-vous des exemples plus particuliers? Il en est de toute sorte. Si vous cherchez une différence fondamentale entre la peinture italienne et la peinture allemande, vous la trouverez dans ce fait que les grands italiens sont sortis de l’école de la mosaïque et de la fresque, tandis qu’Albert Dürer sortait d’une école de gravure. Un peintre vous prouverait sans