Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’expliquer. Car évidemment ce florentin et ce hollandais, dans une combinaison de lignes ou dans une association de couleurs, voient et admirent quelque chose que nous pouvons bien admirer sur leur parole et de confiance, mais que nous n’y voyons pas, nous, très clairement. La ligne et la couleur leur parlent un langage qu’elles ne nous parlent pas. Quels sont les élémens de ce langage, et quelle en est la grammaire? quelles sensations, quels sentimens, quelles idées est-il capable d’éveiller en nous? dans quelles limites sa valeur d’expression est-elle renfermée? par où confine-t-il au langage de la sculpture, et par où touche-t-il au langage de la littérature? quand est-ce enfin qu’il empiète sur le domaine réservé d’une autre langue, c’est-à-dire d’un autre art? Voilà encore, voilà toujours ce qu’il faudrait m’expliquer. Diderot ne l’a guère essayé qu’une fois, à notre connaissance, dans un morceau, d’ailleurs très remarquable et souvent cité, sur les limites précisément de la sculpture et de la peinture.

Combien d’autres questions, qu’il n’a pas seulement effleurées! Qu’est-ce que dessiner, par exemple, et qu’est-ce que peindre? Qu’est-ce qu’un dessinateur et qu’est-ce qu’un coloriste? Vous le savez, — comme vous saviez tout à l’heure ce que Hoogstraten et Benvenuto Cellini voulaient dire. En effet, vous entendez quelque chose là-dessous, et vous en parlez, vous en dissertez, vous vous permettez même d’en juger. Et tout ira bien, pour peu que vous ne serriez pas les mots de trop près et que vous ne prétendiez jamais les vider de ce qu’ils contiennent d’idées. Car alors vous vous apercevriez que vous ne vous compreniez vous-même qu’à la faveur de beaucoup de vague et d’assez de confusion. Supposons maintenant que vous la teniez, cette définition du dessinateur et du coloriste, assez précise pour qu’il n’y aie pas deux manières de l’entendre, assez large en même temps pour ne laisser en dehors d’elle aucun grand maître? Il vous reste alors une petite question à résoudre : comment chaque maître, en y restant fidèle, a-t-il su pourtant demeurer lui-même? Je ne vois pas qu’il y ait dans les Salons ombre d’une réponse à tous ces problèmes. Si vous voulez comprendre comment on peut pourtant les traiter, et par là, mesurer d’un coup d’œil ce qui manque aux Salons de Diderot, relisez les analyses qu’Eugène Fromentin, dans ses Maîtres d’autrefois, ici même, a jadis données du génie de Rubens et de Rembrandt.

A la vérité, que si Pantophile, comme l’appelait Voltaire, ne vous apprend rien de tout cela ni ne se soucie de vous l’apprendre, il vous enseignera d’autres choses à son avis, sans doute, infiniment plus curieuses. Il a besoin, — c’est lui qui l’avoue, — qu’on le tire par la manche pour qu’il ne passe pas devant un Raphaël sans s’en apercevoir, mais il sait en revanche qu’il y a «une beauté monarchique» et « une beauté républicaine. » Il sait aussi tous les traits dont l’ensemble constituera la physionomie