Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur cause agit sur les nerfs sans qu’aucune espèce de mouvement s’y passe encore; on peut donc distinguer la faculté de sentir de la faculté de se mouvoir. Nous ne devons pourtant pas nous dissimuler que cette distinction pourrait bien disparaître dans une analyse plus sévère, et qu’ainsi la sensibilité se rattache peut-être par quelques points essentiels aux causes et aux lois du mouvement, source générale et féconde de tous les phénomènes de l’univers. » Ici encore nous avons à signaler dans Cabanis une des vues présentées par les écoles contemporaines comme une des plus avancées de la science philosophique, à savoir que le sentiment et le mouvement ne sont qu’un seul phénomène considéré sous deux points de vue différens.

Dans l’état actuel de nos connaissances, cette réduction est impossible. Néanmoins ces deux faits, distincts pour l’analyse, sont inséparables en réalité. Toute sensation détermine un mouvement; toute sensation continue doit amener des mouvemens continus qui deviennent de plus en plus faciles à force d’être répétés, et laissent après eux des tendances à les reproduire, en un mot, des habitudes, des appétits, et, pour dire le vrai mot, « des instincts. »

Condillac avait ramené tous les mouvemens et toutes les actions de l’homme par l’expérience réfléchie. Cabanis fait au contraire la part de l’instinct. Il y a sans doute des mouvemens combinés, réfléchis, calculés, fondés sur l’expérience et dont l’origine est dans les sens externes. Mais il y a aussi d’autres mouvemens dont l’origine est dans les sens internes. Or, comme le caractère des sensations internes est d’être accompagnées d’une conscience obscure, confuse, incertaine, et bien souvent, nous le verrons tout à l’heure, d’être sans conscience, il s’ensuit que les déterminations attachées aux sensations internes sont elles-mêmes des « déterminations sans conscience ; » les premières sont volontaires, les secondes sont dites « instinctives. »

De là deux principes d’action dont l’un avait été absolument Méconnu par Condillac, l’instinct, et qui est antérieur à l’autre, qui est même la base de l’autre. Son origine se perd dans l’origine même de la vie. Cabanis abonde en exemples pour montrer que le fœtus, avant la naissance, a déjà contracté des habitudes, des instincts, des appétits, que ces habitudes ne peuvent s’expliquer par l’expérience puisqu’elles anticipent souvent sur ce qui sera plus tard, puisqu’on voit les animaux chercher à se servir des organes qu’ils n’ont pas encore, travailler pour des petits qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne connaîtront peut-être jamais : enfin ils anticipent même sur l’expérience externe, puisque le petit poussin picote des grains à distance sans se tromper, au moment même où il sort de sa coque.