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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/527

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Montbard, le 23 juillet 1779.
Ma très respectable amie,

J’ai pris congé avec bien du regret ; j’avois la larme à l’œil en vous quittant tous deux, et cet attendrissement s’est souvent renouvelle depuis sans s’être attiédi, car c’est pour la vie que je me suis dévoué et à l’une et à l’autre ; je m’en fais une gloire et j’y attache mon bonheur. J’aurais pu et peut-être dû vous l’écrire, mais je fais peu de cas du sentiment en récit, et souvent ceux qui en ont le moins ont le plus de paroles. Je vais vous consulter ; croiés-vous, ange de mes lumières (car vous les avés souvent rectifiées), croiés-vous que le sentiment puisse s’exprimer autrement que par les faits ? Le papier, ce me semble, ne peut recevoir l’empreinte de ce qui se grave au fond du cœur, on n’y trace que le produit de l’esprit et non les sensations de l’âme ; je l’éprouve en voulant vous peindre celles qui me sont le plus chères, et vous-même, ma belle et noble amie, vous qui êtes mon guide et mon modèle en sentimens, avés-vous jamais pu rendre autrement que par de grandes actions les sublimes élans de cette tendresse divine qui fait le fond de vos vertus et qui se répand par votre bienfaisance sur l’humanité toute entière ? et même en amitié, n’est-ce pas encore par les faits que vous vous exprimés ? m’avés-vous jamais dit autant que vous avés fait pour moi ? Mais pourrai-je à mon tour faire quelque chose pour vous ? J’ai beau tenir mémoire de vos bienfaits, de vos insignes bontés, de vos attentions particulières, je ne vois nul moien de m’acquitter que dans votre propre cœur auquel je voudrois joindre le mien, mon adorable amie.


Bien que Mme Necker répondît avec exactitude à toutes les lettres de Buffon, cependant celui-ci mettait une sorte de discrétion à solliciter d’elle des témoignages trop fréquens de son affection. Mais lorsqu’il avait gardé le silence quelques mois, ce silence lui paraissait trop pénible, et il prenait la plume pour le rompre :


Montbard, ce 9 février 1781.

Ma noble amie, vous dont les jours peuvent être comptés par vos bienfaits, vous que j’aime et j’estime beaucoup plus que moi-même, accordés-moi quelques-uns de ces instans qui font tout mon bonheur ; après deux mois de silence, mon cœur a besoin d’effusion ; la tendre amitié veut, comme l’amour, jouir de temps en temps. Votre lettre du 14 décembre est toujours sous mes yeux, j’en jouis encore pleinement, et cependant je vous en demande une autre qui suffira pour me faire