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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/535

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que la ferveur religieuse témoignée par lui à sa dernière heure n’ait été qu’un calcul destiné à assurer le repos de sa sépulture. N’y a-t-il pas là un de ces problèmes sur le seuil desquels on devrait s’arrêter ? De quel droit en effet pénétrer dans les profondeurs d’une conscience peut-être combattue pour y donner le dernier mot aux résistances de l’esprit ou aux soumissions de la volonté ? Mais invincible est la tentation qui dans ces temps de doute conduit à demander aux grandes intelligences ce qu’elles ont pensé de ces terribles problèmes qui sont au fond de toutes nos querelles. Aussi n’ai-je pu m’empêcher de chercher si, dans cette correspondance intime, les véritables sentimens de Buffon ne se trahiraient pas par quelque endroit. Ces hautes questions paraissent avoir été soulevées entre Buffon et Mme Necker dès la première année de leurs relations[1]. « Je vous proteste, madame, lui écrivait Buffon, de retour à Montbard, que je m’estimerois moi-même davantage si je pouvois penser en tout aussi bien que vous et M. Necker ; mais la première de toutes les religions est de garder chacun la sienne, et le plus grand de tous les bonheurs est de la croire la meilleure. Je n’en ai pas moins eu un plaisir délicieux dans ces conversations où nous n’étions pas tout à fait d’accord, et vous reconnoîtrez, madame, par non empressement à chercher les occasions de vous faire ma cour, h sincérité des sentimens que je vous ai voués. » Le souvenir de ces discussions était probablement encore présent à la pensée de Buffon lorsque, quelques mois après, il lui adressait les lignes suivantes :


Montbard en Bourgogne, ce 13 juillet 1774.

M. de Buffon a l’honneur d’envoyer à Mme Necker un petit écrit qu’il n’a pas publié et que probablement il ne publiera pas, mais qu’il soumet bien volontiers à son jugement en lui demandant néanmoins indulgence et vérité. Il prend la liberté de lui offrir ses respectueux hommages et tous les sentimens de sa haute estime.


Le petit écrit que Buffon adressait à Mme Necker est un opuscule de quelques pages où il s’efforce de concilier le récit de la Genèse avec sa propre théorie de la formation du globe. Ces quelques pages ont été plus tard insérées par lui dans ses Époques de la nature. Mme Necker ne serait donc pas demeurée tout à fait étrangère à cette tentative de conciliation dont la pensée première aurait été inspirée à Buffon par le désir d’apaiser dans l’âme de sa

  1. La lettre d’où je tire ce fragment a déjà été publiée par M. Nadault de Buffon.