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finesse, l’esprit d’observation avec l’indulgence de caractère, toutes les grâces qui touchent, et toutes les vertus qui élèvent. Ah ! que faites-vous dans Paris ? Vous y êtes égarée, vous y êtes perdue. Votre âme à chaque instant dément tout ce qui vous environne, et deux ou trois âmes isolées et éparses sont dignes de vous sentir et de vous connoitre. Vous repoussés les autres ; elles n’osent vous approcher. Qu’est-ce qui a le courage d’être humilié vingt fois par jour ! Quoy il y a quelqu’un pour qui vous vivés, pour qui vous respirés, et à qui vous ne suffisés pas, et qui a encore besoin que l’univers existe autour de lui ! Logés dans un désert, et soyés y même pour un autre que moi, j’aurai encore du plaisir à y être seul témoin de votre bonheur. J’ay déjà été dans cette situation, et elle a été une des plus douces de ma vie. Il faudra l’oublier, et revenir vous voir dans la foule, dans le monde, à des diners, à des soupers. J’entendrai des dissertations, des contes, des riens, et je penserai dans ces momens à tout ce que vous ne dirés pas. Recevés mes plus tendres respects, et placés pour moi deux ou trois souvenirs à travers les distractions qui vous entourent.


Mme Necker, dont la nature était également portée à la tristesse et qui ressentait vivement les moindres peines de la vie, prenait de son côté Thomas pour confident de ses accès de mélancolie et de lassitude :


Que mon âme, lui écrivait-elle, puisse se reposer sur la vôtre ; qu’au milieu de cette tristesse involontaire attachée à des contraintes de tout genre, au milieu de cette secrète anxiété que nos réflexions font naître, quand on se dit : Qui suis-je ? Où vais-je ? D’où suis-je tiré ? je puisse m’assurer au moins que j’ai sur cette terre si mobile un asile invariable au fond de votre cœur.


Et Thomas lui répondait en s’efforçant de la rattacher à la vie par la pensée des heureux qu’elle faisait autour d’elle :


J’ai vu avec bien de la peine, lui écrivait-il, que vous n’êtes point heureuse, que votre santé vous afflige, et que vous sentez plus vivement les peines que les douceurs de la vie. Est-ce donc à vous à penser ainsi ; vous qui n’êtes environnée que de personnes qui vous aiment, vous qui faites le bonheur de tous ceux qui vous connoissent ? Aimés du moins la vie pour le bien que vous faites, pour tous les malheureux que vous soulagés. Aimés-la pour les amis les plus tendres et pour tous ceux qui ne seroient rien si vous n’étiés plus.


Ce penchant commun à la tristesse les conduisait fréquemment à s’entretenir de sujets plus graves, et sur ce point Mme Necker