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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/551

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rassembler les traits qui caractérisent M. Thomas. Je crois que votre âme souffriroit trop d’une pareille occupation. Mais j’ai pensé qu’il y auroit un temps où elle vous seroit douce et où elle ôteroit à vos regrets leur plus grande amertume. » C’était à elle également que les amis de Thomas soumettaient les différens projets de l’épitaphe que, selon la coutume du temps, ils comptaient faire graver sur sa tombe. Parmi ces épitaphes, il y en avait une qui était faite pour plaire à Mme Necker et qui, après les éloges d’usage, se terminait ainsi :


Amicitiæ serviens, ac pie moriens, æternitatem occupavit.


L’amitié, la religion, l’éternité c’étaient bien les graves sujets qui, dans cette relation d’une nature si particulière, avaient occupé leurs âmes et en lisant ces mots sur la tombe de son ami, Mme Necker aurait pu croire qu’elle entendait encore un écho de leurs conversations sous les tilleuls de Saint-Ouen.

Quelle était donc la véritable nature de cette femme qui, malgré la réputation de froideur et de sévérité qu’on lui a faite, avait le don d’inspirer des sentimens si vifs et si profonds, qui, jeune fille, avait recueilli ces hommages frivoles dont le souvenir demeure cependant cher à la mémoire d’une femme, qui, dans un âge plus mûr, inspirait un égal enthousiasme à la tendresse de Mme d’Houdetot, au génie de Buffon, à la sévérité de Thomas, et qui, épouse passionnée autant que chérie, trouvait cependant le moyen de faire à d’autres dans son cœur une place aussi large ? Jusqu’à présent je me suis complu surtout à décrire le cercle brillant dont elle était environnée et je ne l’ai peinte en quelque sorte que de profil dans ses rapports avec des hommes qui étaient assurément bons juges en fait de mérite et de grâces ; mais si l’on trouve, comme je le voudrais, que cette figure ne manque ni d’originalité ni d’attrait, peut-être qu’il est temps d’essayer un portrait de face et de montrer en particulier, à l’aide de quelques documens intimes, ce qu’elle était dans la vie de chaque jour et comment elle s’acquittait de ces devoirs dont l’humble accomplissement fait la gloire et la douceur de la vie des femmes. On verra quelles ardeurs se cachaient sous cette apparence un peu compassée, et je serais étonné si on n’était pas amené à reconnaître en elle, sous le rapport des agitations de la nature et de la vivacité des sentimens, la véritable mère de sa fille.

Othenin d’Haussonville.