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L’APÔTRE DE LA DESTRUCTION UNIVERSELLE.

monte sur le piédestal de la croix et dit que ces homme, qui sont venus pour établir l’égalité sont les vrais apôtres du Seigneur, et qu’ainsi le veut l’Évangile. Il se fait le guide de la bande et la conduit au village peu éloigné de Gallo en criant : « Vive la révolution sociale ! »

Le curé de Gallo, Tamburini, vient les recevoir et les présente à ses ouailles : « Ne craignez rien, dit-il, ce sont de braves gens, on change le gouvernement et on brûle les registres » (Buona gente ; non temete. Cambiamento di governo et incendio di carte.) La foule paraît ravie. On lui distribue les fusils de la garde nationale. Les registres apportés sur la place publique font une grande flambée. Dans le moulin, on détruit le compteur de l’impôt si détesté de la monture. L’enthousiasme est au comble. Le vicaire embrasse le chef qui porte la ceinture rouge. Les femmes pleurent de joie. Plus d’impôt, plus de fermage ; tous égaux ; émancipation générale. Mais on apprend bientôt que les troupes approchent. La bande se sauve dans la grande forêt du Matesa. Malheureusement les élémens sont moins démens que les paysans. La neige couvre tout. Le froid devient intense. Les libérateurs meurent de faim. Ils sont pris, et, au mois d’août 1878, ils paraissent devant les assises à Capoue. Les chefs étaient le comte G***, d’Imola, C***, docteur en droit, et M***, un chimiste. Les deux curés figurent parmi les trente-sept accusés.

Le dénoûment de l’aventure n’est pas moins extraordinaire que ses incidens. Les avocats plaident qu’il s’agit d’un délit politique, lequel est couvert par l’amnistie qu’a accordée le roi Humbert en arrivant au trône. Le jury acquitte. Cependant un des carabiniers était mort et un autre définitivement estropié. Ne dirait-on pas un chapitre de roman ? Toutefois il donne à réfléchir. Il prouve combien l’idée d’une révolution sociale, même quand elle se présente sous une forme presque burlesque, est facilement accueillie par les populations et par le clergé des campagnes. À chaque instant éclatent au nord comme au midi de petites insurrections agraires où le sang coule. Récemment celle de Calatabiano, en Sicile, menaçait de s’étendre. Comme le dit le marquis Pepoli en parlant des troubles de Budrio et de Molinella, ce sont les estomacs creux qui s’insurgent. Le capitaine des carabiniers qui a réprimé ces désordres répond au préfet : E questione di fame. « C’est une question de faim. » Il n’est pas rare de voiries autorités municipales les favoriser. Un fait caractéristique noté entre beaucoup d’autres. À San Giovanni-Rotondo, dans la Pouille, le maire donne des conférences socialistes, et la municipalité les fait imprimer et répandre à ses frais. À San-Nicandio et à Lésina, les maires poussent les paysans à se