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vous servirait à rien. Ce qu’il faut poursuivre, c’est la révolution sociale. » Au premier congrès de l’Internationale, à Bruxelles, paraît un délégué espagnol, Sarro Magallan, de Barcelone. Le 2 mars 1867, dans cette grande ville industrielle, la première section est fondée et un journal est publié, la Federacion. Bientôt une section centrale est créée à Madrid. Les principaux meneurs sont Morago et Francesco Mora. Ils rédigent aussi un journal, la Solidaridad. La police commence les poursuites. Néanmoins le nombre des sections augmente rapidement ; à la fin de 1869, on en comptait 195 avec plus de 20,000 membres[1]. Chose curieuse, il s’était établi une section très active, à Palma, dans l’Ile de Majorque, qui avait aussi son organe, la Justicia sociale. Les ouvriers agricoles prenaient part au mouvement et se groupaient, surtout en Andalousie, où les latifundia excluent les cultivateurs de la possession du sol et les réduisent à un salaire insuffisant. En février 1873, le ministre Sagasta, effrayé des progrès si rapides de l’association, envoie une circulaire aux gouverneurs de province afin de l’extirper à tout prix et il s’adresse même aux gouvernemens étrangers pour organiser une croisade européenne. Les chefs de l’Internationale sont obligés de chercher un refuge en Portugal. En même temps la division se met dans le parti socialiste. Les adhérons de l’Alliance de Bakounine veulent arriver à la direction du mouvement. Ils créent un journal à Madrid, el Condenado, dont le programme se résumait en ces trois mots : athéisme, anarchie, collectivisme.

Après la scission de La Haye entre Marx et Bakounine, la grande majorité des internationalistes espagnols se déclarèrent pour ce dernier. Le congrès régional fut convoqué à Cordoue en décembre 1872, et il en sortit une fédération indépendante. Celle-ci lança un manifeste adressé aux frères du monde entier, dont on invoquait le secours. Elle se terminait ainsi : « Vive la liquidation sociale ! vive l’Internationale ! Salut et solidarité, anarchie et collectivisme. » Les partisans de Marx, Lafargue, son gendre, et Farga fondèrent à Madrid la « nouvelle fédération madrilène, » à laquelle ils essayèrent de rallier leurs troupes ébranlées par les anathèmes et les accusations que se lançaient les deux partis aux prises. Seulement les marxiens voulaient rester sur le terrain économique, tandis que les bakounistes s’alliaient aux radicaux bourgeois pour renverser le

  1. Visitant l’Espagne en 1869, j’assistai à plusieurs séances de ces clubs socialistes. Elles avaient lieu ordinairement dans des églises enlevées au culte. Du haut de la chaire, les orateurs attaquaient tout ce qui y avait été exalté. Dieu, la religion, les prêtres, les riches. Les discours étaient chauffés à blanc, mais les assistans très calmes. Beaucoup de femmes étaient assises à terre, travaillant, nourrissant leurs nouveau-nés et écoutant avec attention, comme au sermon. C’était bien l’image de 93.