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L’APÔTRE DE LA DESTRUCTION UNIVERSELLE.

un manifeste où il est dit : « Plus de propriété privilégiée, mais collectivisme, c’est-à-dire possession en commun de la terre et de tous les instrumens de travail. Plus de maîtres, plus d’usuriers, plus de voleurs ; travail, pain, richesse, instruction, justice, liberté pour tous. La terre à qui la cultive, la machine à qui l’emploie, la maison à qui l’habite. » Mélange inconscient de communisme et d’individualisme. — Le programme du cercle socialiste de Plaisance (avril 1878) porte : « La terre et tous les instrumens de travail doivent devenir la propriété collective de la société tout entière afin d’être utilisés par les associations agricoles et industrielles : où commence la science cesse la foi. Chacun a droit au nécessaire. Nul n’a droit au superflu. Pas de droit sans devoir, pas de devoir sans droit. » — Dans un manifeste des internationalistes de Montenero, Antignani, Ardenza et San-Jacopo, la théorie de l’anarchisme est nettement formulée : « L’état est la négation de la liberté ; car n’importe qui commande, tous servent. L’autorité ne crée rien et corrompt tout. Tout état même démocratique est un instrument de despotisme. Le meilleur gouvernement est celui qui parvient à se rendre inutile. Changer de régime politique est inutile. Un homme a une épine dans le pied : il croit se soulager en changeant de bottes ; mais il souffre tout autant. C’est l’épine qu’il faut ôter. L’homme libre dans la commune libre ; et dans l’humanité, rien que des communes fédérées, voilà l’avenir. » Ces extraits suffisent pour montrer que le programme du socialisme militant en Italie n’est autre que celui de Bakounine et du nihilisme. Il en est de même en Espagne.


IV.

L’histoire de l’Internationale en Espagne est aussi tragique qu’instructive. Quoiqu’il y ait dans ce pays peu d’ouvriers engagés dans la grande industrie, l’association y a fait des conquêtes rapides. Un moment, à la suite d’insurrections victorieuses, elle a eu en ses mains plusieurs grandes villes, mais bientôt elle a succombé, dans le désordre et dans l’anarchie qu’elle avait créés. Jusque vers 1867, le mouvement ouvrier dirigé par le journal l’Obrero n’avait rien de révolutionnaire ; on fondait des sociétés de secours mutuels, d’épargne et de production. Après le renversement du trône d’Isabelle, l’Internationale envoya en Espagne des délégués qui y furent bien accueillis. Le 21 octobre 1868, le conseil général adressa un manifeste aux ouvriers espagnols pour les pousser à réclamer des réformes sociales. « Sans l’égalité économique, y était-il dit, la liberté politique qu’on vous offre est un leurre. La république même, sans le renversement des institutions civiles actuelles, ne