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faculté de Strasbourg, il se fit recevoir docteur ès-lettres. Dans la thèse qu’il soutint à cette occasion, thèse qui est devenue un livre intéressant et qui avait pour sujet la vie et la doctrine de Scot Érigène, reparaît cette croyance en l’union future de la science et de la foi qui fait le sentiment dominant de son poème. Préoccupé de trouver dans le passé des ancêtres à son espérance, il lui avait paru que le penseur original et énigmatique qui éclata au milieu des ténèbres du IXe siècle comme un météore philosophique sans précurseurs immédiats, n’avait jamais été droitement compris. L’homme qui avait exprimé cette forte idée : « La vraie religion n’est que la vraie philosophie, et la vraie philosophie n’est que la vraie religion, » s’il n’avait pas résolu le problème de l’union de la science et de la foi, n’en avait-il pas compris, avec une pleine exactitude, la nature et les conditions ? Saint-René Taillandier s’ingénia donc à séparer le disciple de l’apocryphe Denys l’Aréopagite et du moine Maxime de toute étroite parenté avec le néo-platonicisme d’Alexandrie, l’amnistia de tout délit de panthéisme et s’attacha à montrer en lui un philosophe strictement chrétien en dépit de la défiance que l’église eut de ses opinions dès l’origine et qu’elle conserva toujours depuis ; le père non reconnu, mais authentique, de la philosophie du moyen âge dans son double mouvement, la scolastique et les mystiques, nous voudrions pouvoir dire que le jeune écrivain réussit à prouver ces conclusions ; malheureusement, l’exposé très complet et très lucide qu’il fait des doctrines de Scot Érigène, les citations abondantes dont ses analyses sont accompagnées et les fragmens importans dont il a composé l’appendice de sa savante thèse ne nous permettent pas d’être aussi affirmatif.

Il nous est impossible de voir en Scot Érigène autre chose qu’une apparition excentrique et solitaire comme l’histoire en présente quelquefois pour rompre, dirait-on, la monotonie de la logique des siècles. Tout en lui indique nettement que nous sommes bien en face, non d’un chrétien philosophant, mais d’un véritable libre penseur, animé d’une pieuse déférence à l’égard du christianisme, il est vrai, sincèrement désireux de le trouver d’accord avec sa philosophie, travaillant en toute bonne foi à cet accord, mais qui a pris d’avance son parti pour le cas où les deux doctrines ne s’ajusteraient pas exactement. La sienne, très hardie et très complète, se suffit en effet par elle-même, porte en elle-même son principe et ses conclusions. Elle côtoie le christianisme, mais sans s’y confondre jamais, et si les deux doctrines vont ensemble, c’est à la manière de deux fleuves qui voyagent de compagnie vers la même mer, mais s’y jettent par deux embouchures différentes. La qualité essentielle du vrai philosophe, l’intrépidité intellectuelle, est visible chez Scot Érigène ; quelles que soient les conséquences où la vérité