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consacrés par Saint-René Taillandier aux révolutions allemandes. Un diplomate distingué, juge fort autorisé en de telles matières, M. Thouvenel, déclarait cette excellente étude un document indispensable à quiconque avait affaire politique en Allemagne ou voulait comprendre quelque chose à l’état de cette partie de l’Europe. L’auteur y suit pas à pas, à travers toutes ses phases, l’existence tourmentée de cette aventureuse assemblée, et en met en lumière les fautes et les incohérences. Il nous est arrivé parfois de gémir sur les violences infligées à la réalité par un certain excès de logique qui est dans l’esprit français; il faut avouer cependant qu’il est certains genres d’aberration dont nous préservera toujours cette dangereuse tendance, et de ce nombre sont les aberrations qui signalèrent l’entreprise du parlement de Francfort. Tout est bizarre dans son histoire depuis son origine jusqu’à sa fin. Sorti de décrets émanant d’une assemblée de notables, issue elle-même d’une réunion de citoyens sans autre mandat que celui que leur donnait leur zèle patriotique, ce parlement eut-il jamais une légitimité bien certaine? En réalité, il n’en eut d’autre que celle qui lui fut donnée par les acclamations des multitudes, le silence des gouvernemens interprété comme adhésion et la confusion des événemens. Le voilà cependant venu au monde, il parle et légifère au nom de la nation, mais quand il regarde autour de lui, il ne parvient à saisir d’aucun côté cette nation qui reste à l’état de conception idéale. A sa place, il trouve devant lui, et en nombre considérable, des gouvernemens régulièrement établis, mais sur des bases fort différentes de la souveraineté populaire et dont l’existence logiquement ne semble pas pouvoir coïncider avec la sienne. Né comme il l’est d’un mouvement populaire, et rassemblé comme il l’est pour fonder l’unité nationale, la logique et le sens commun permettent de craindre qu’il agira conformément à son origine, et qu’appelant partout la révolution comme alliée, il commencera par faire table rase de ces gouvernemens, ou du moins refusera de reconnaître plus longtemps leur raison d’être. Heureusement il n’en fait rien, mais alors, puisque la loyauté conservatrice l’emporte dans ses rangs, il va sans doute traiter avec ces gouvernemens et les admettre à coopérer avec lui à ce grand œuvre d’alchimie politique d’où leur sort ultérieur dépend, car, s’il reconnait leur légitimité, il faut bien qu’il avoue qu’ils ont voix au chapitre. Au lieu de les consulter, il préfère leur commander; mais lorsqu’il leur donne des ordres, il se trouve qu’il ne dispose ni d’un homme, ni d’un écu et qu’il rend des décrets qui ne sont exécutoires nulle part. Avec son omnipotence abstraite, il est la faiblesse même, et toute sa vie s’écoule entre la menace de la révolution qui un jour est sur le point de l’anéantir et la menace de la réaction politique