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ne pouvait se résigner. Il était déjà souverain par la grâce de Dieu, et voilà qu’on lui offrait une couronne relevant de la souveraineté populaire. De quel droit dépendrait-il et se couvrirait-il désormais? car enfin les deux titres se niaient l’un l’autre, et s’il acceptait d’être roi par la grâce de la révolution, il était difficile de comprendre qu’il restât roi par la grâce de Dieu au même degré que par le passé. Sans doute ce sont là des raisons qui d’ordinaire ne préoccupant guère les politiques, mais la conduite de Frédéric-Guillaume IV cesse d’être sans mystère lorsqu’on a reconnu et nommé dans la correspondance avec le baron de Bunsen le singulier mobile intérieur qui dirigeait la conscience du roi.

Un homme d’un talent original qui toute sa vie a combattu avec une infatigable activité pour rapprocher l’église anglicane, dont il était membre, des principes des sociétés modernes, Charles Kingsley, dans son roman historique de Westward ho! cherchant le point répréhensible des puritains, l’a trouvé dans ce souci exagéré du salut qui était le ressort de toute leur conduite. Par là, dit-il, ils mettaient l’intérêt individuel de leur âme avant tout intérêt général, ils établissaient une sorte d’égotisme chrétien, antisocial dans ses conséquences, où le devoir envers soi-même passait avant tout devoir envers la communauté. La remarque est d’une finesse profonde et nous est restée présente à l’esprit pendant toute notre lecture de cette correspondance. Le secret de toutes les faiblesses de Frédéric-Guillaume IV, c’est qu’il eut une âme éminemment et uniquement protestante, c’est-à-dire scrupuleuse avec excès. Cette âme, il en avait un souci constant, veillait avec une minutieuse attention à ce qu’aucun atome de doctrine malfaisante ne s’y insinuât pour en altérer l’orthodoxie, observait avec soin ceux qui l’approchaient de crainte qu’à leur contact elle ne gagnât quelque contagion de libéralisme. Aussi, quand il devait agir, que d’hésitations, que de débats prolongés avec lui-même! S’il marchait d’accord avec la France, même redevenue monarchique, s’il cédait un droit suranné sur la principauté de Neufchâtel, s’il faisait un accueil favorable à un mouvement même avouable de l’opinion populaire, s’il obéissait aux avances d’un patriotisme même respectueux, n’allait-il pas se faire complice de cette révolution qu’il détestait à l’égal de Satan, de cette révolution qui glorifiait et amnistiait tant de choses que Dieu ordonne, disait-il, de regarder positivement comme des crimes? Une parole des Psaumes revient significativement à chaque page de cette correspondance comme pour bien marquer sa préoccupation constante : Dixi et sahavi animam meam. Assurément le cri est beau, quoique la portée en soit affaiblie par une répétition trop constante. Eh bien! c’est une question que de savoir si un souverain ou un chef d’état de n’importe quelle dénomination doit