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jusqu’où va leur notoriété. C’est beaucoup que d’être parvenu à forcer l’attention, et par suite à conquérir l’estime d’une élite de lecteurs sérieux, mais on peut tenir pour assuré qu’un nom n’a de retentissement véritable que lorsqu’il a été répété par le public mondain. C’est toujours chose difficile pour un critique, un érudit, un chercheur de choses historiques, que d’atteindre à ce public: le mérite ne suffit pas pour cela, il y faut le choix des sujets, condition délicate que les circonstances ne laissent pas toujours à l’écrivain. Multipliez les études les plus graves, faites preuve de la sagacité critique la plus éminente, tout cela fera moins pour votre renommée que quelque touchante biographie où le monde entendra parler de personnages qui lui ont appartenu ou quelque vive esquisse qui lui ressuscitera des traits qu’il a connus. Une bonne partie de la grande réputation que Sainte-Beuve s’était acquise tenait à ce choix des sujets agréables qu’il entendait avec plus de ruse que personne. Il y avait déjà vingt ans que Saint-René Taillandier tenait la plume lorsqu’il eut un jour le bonheur de rencontrer, sans presque le chercher, ce sujet fait pour plaire au monde.

Vers 1860, un diplomate allemand, M. Alfred de Reumont, avait publié sur la veuve du prétendant Charles-Edouard, la célèbre comtesse d’Albany, un livre plein de détails inédits rassemblés pendant un long séjour en Italie. Si riche de faits nouveaux que fût le livre de M. de Reumont, il n’épuisait cependant pas la matière. Il y avait à la bibliothèque de Montpellier de nombreuses correspondances de personnages considérables du premier quart de ce siècle avec Mme d’Albany, legs précieux du dernier ami de la royale comtesse, le bourru baron Fabre. Le désir vint à Saint-René Taillandier, qui professait encore alors à Montpellier, de dépouiller ces documens, de compléter en la rectifiant par leur moyen l’œuvre du baron de Reumont et de faire sortir de cette combinaison un travail qui lui appartînt en propre. J’ai à peine besoin de rappeler à nos lecteurs le succès qu’ils firent à ce travail, grâce auquel l’amie de Victor Alfieri retrouva un instant auprès d’une génération nouvelle la faveur dont ses contemporains l’avaient entourée. Ce succès était de tout point mérité. C’est une belle étude, composée avec les meilleures qualités littéraires de son auteur et sans aucun des légers défauts qu’un goût méticuleux pouvait lui reprocher quelquefois. Les proportions en sont excellentes ; l’étendue en est exactement celle que réclamait la matière pour éviter soit la sécheresse, soit la prolixité; le récit sans précipitation ni lenteur, conserve jusqu’au bout l’unité de son cours, que ne fait dévier aucune digression et ne retarde aucune discussion intempestive. Il n’y a pas non plus d’étude de Saint-René Taillandier qui découvre mieux