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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/621

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aube encore tremblotante et incertaine. Il fut véritablement le dernier chef d’année selon l’esprit de l’ancien régime français, si véritablement qu’on est souvent tenté d’oublier l’époque où il a vécu et de voir en lui un contemporain plutôt qu’un successeur des généraux de l’âge précédent. Jamais tradition n’a été mieux reprise et mieux continuée; ses batailles si vivement enlevées, ingénieusement hardies, correctes avec fougue, simples de plans et économes de moyens comme une bonne tragédie du Iton temps, offrent dans des proportions quelque peu plus modestes tous les caractères en quelque sorte classiques des batailles de la seconde moitié du XVIIe siècle. Aussi donna-t-il aux Français de son temps comme l’illusion d’un prolongement du règne de Louis XIV. Les gentilshommes du grand siècle montaient à l’assaut des villes aux accords des violens; Maurice n’était pas pour laisser perdre la mémoire de cette belle humeur qui enlevait à la guerre son masque inhumain et au danger son aiguillon. Jamais batailles n’eurent un si riant air de fêtes que les siennes, et dans le fait c’étaient des fêtes véritables. On sait le rôle qu’y ont joué par leurs représentations dramatiques M. et Mme Favart. Maurice voulait faire participer ses soldats a ce courage qui était l’apanage des gentilshommes, et qu’à leur exemple ils allassent au combat l’âme en liesse et le cœur bondissant. Il avait pour eux une affection réelle, moins paternelle qu’amicale, quelque chose comme l’affection d’un bon camarade noble et puissant pour les jeunes paysans qui aident à ses jeux et partagent ses dangers. Il fut plus ménager de leur sang qu’on ne l’avait été avant lui, et tandis que le grand Condé avait pu dire dans un des combats de la Fronde en voyant ses rangs s’éclaircir : « Bah! ce n’est qu’une nuit de Paris! » lui refusait une douzaine de soldats pour une embuscade dont l’utilité ne lui paraissait pas démontrée, en disant: « Encore si ce n’étaient que douze lieutenants-généraux ! » Loin de considérer le soldat comme simple chair à canon et servile instrument de mort, il le voulait de la meilleure qualité possible et croyait qu’une armée n’était capable d’une discipline parfaite que lorsqu’elle était composée d’hommes qui sont citoyens par quelque point. Le recrutement lui déplaisait fort pour cette raison, et c’est lui qui a eu le premier l’idée de la conscription et du service limité et obligatoire. N’ayant pu être souverain en réalité, il se dédommageait de cette déconvenue en l’étant en imagination autant qu’il le pouvait, et dans les rêves hardis qui lui ont été inspirés par cette préoccupation d’une Salente destinée à n’exister jamais, il s’est montré plus d’une fois démocrate inconscient, avec une tendance très marquée à l’utopie qui lui venait, très probablement du peu de préjugés que sa naissance illégitime et l’histoire de son mariage lui avaient laissé