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et de « son Descartes » est de confondre les motifs du vouloir qui sont des représentations et qui reposent dans l’intellect, c’est-à-dire dans le cerveau, avec la volonté elle-même qui n’est autre que les passions. Flourens loue ensuite Gall d’avoir renoué la tradition de Descartes et d’avoir ramené « le moral à l’intellectuel. » Toute ma philosophie, dit Schopenhauer, est la réfutation de cette erreur : « Sans doute, dit-il, en terminant, M. Flourens est un homme d’un grand mérite et qui a rendu surtout des services dans la voie expérimentale. Mais les plus importantes vérités ne sont pas celles qui se trouvent par l’expérience, mais par la réflexion et la pénétration. Ainsi Bichat, par ses réflexions et son profond coup d’œil, a découvert une de ces vérités inaccessibles à toutes les expériences de M. Flourens, quand même il martyriserait jusqu’à la mort des centaines d’animaux. »

Quoi qu’en dise Schopenhauer, la doctrine de Bichat sur le siège des passions ne paraît pas avoir été confirmée par la physiologie moderne. Ce n’est pas seulement Flourens, c’est le grand physiologiste allemand Müller qui la contredit : « Aucune passion, dit-il, n’agit directement sur les viscères ; chez l’homme bien portant, leurs effet se propagent en rayonnant du cerveau à la moelle épinière et de celle-ci au système nerveux, tant de la vie animale que de la vie organique. Les personnes douées d’une complexion hépatique sont les seules chez lesquelles une passion violente provoque l’ictère ou l’hépatite. En un mot, les effets des passions ne fournissent aucune preuve à l’appui de l’hypothèse que les passions auraient leur siège en dehors de l’encéphale. » On cite les cas où des affections purement organiques, comme la suppression d’une sécrétion, déterminent le délire et la folie; mais c’est prouver trop, puisque le délire porte sur les idées en même temps que sur les sentimens; il faudrait donc en conclure que l’intelligence aussi bien que les passions ont leur siège dans les viscères. De plus, combien de fois de pareilles affections ne se produisent-elles pas sans amener la folie? Si elles ont cette conséquence, n’est-ce pas lorsque le cerveau est prédisposé aux affections mentales et lorsqu’un trouble organique s’est porté de proche en proche par sympathie jusqu’au centre nerveux? D’ailleurs la réciproque est vraie : c’est-à-dire qu’il arrive souvent que, sans aucun trouble organique, les passions soient altérées et modifiées par le seul état du cerveau. Sans doute Flourens a le tort de louer Gall d’avoir « ramené le moral à l’intellectuel » et Schopenhauer est dans le vrai quand il distingue l’intelligence de la volonté; mais cette distinction n’exige pas et n’implique pas deux sièges différens; il n’est nullement nécessaire de placer la source de la volonté dans la vie végétative et de