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de sa nouvelle œuvre qui, comme la précédente, risquera de subir en passant par tant de mains plus d’une fâcheuse déformation.

Bien qu’il ait, et au plus haut degré, le don de l’élégance et de la grâce, M. Baudry n’a peint, à notre connaissance, qu’un nombre très restreint de portraits de femmes. En revanche, beaucoup de ses portraits d’hommes sont restés justement célèbres. Celui de M. Jules B. remonte déjà, croyons-nous, à plusieurs années. Avec son costume sévère, qui se détache à peine d’un fond sombre, avec son teint olivâtre, sa barbe et sa chevelure noires, ses traits énergiques et décidés, vous jureriez avoir déjà rencontré ce fier visage dans quelque musée d’Italie. Placée aux offices de Florence ou à l’Académie des Beaux-Arts à Venise, l’œuvre y soutiendrait les plus glorieuses attributions. Le Portrait de M. Guillaume, qui est tout récent, montre une facture plus libre et, sauf la coloration peut-être un peu trop prononcée des chairs, l’aspect en est vivant et la ressemblance frappante. Le sculpteur est représenté dans son atelier, accoudé à sa table de travail. Il a interrompu sa tâche pour se reposer un moment. Mais l’activité intérieure de la pensée se lit sur son visage vivement éclairé, et les yeux rayonnent de cette joie sereine que donne une subite illumination de la vérité. Rien de théâtral d’ailleurs, vous le pensez bien; aucune pose. L’attitude est d’une simplicité parfaite et, autour de l’artiste, les accessoires, réduits au strict nécessaire, rappellent les aptitudes diverses du statuaire et de l’écrivain. Ainsi entendue, dans sa sobriété familière, l’œuvre présente l’intérêt de ces portraits composés dont ici même, avec l’autorité qui lui appartient, M. Guillaume regrettait la rareté et proposait de renouveler la tradition. Quant à l’exécution, elle est ce qu’on pouvait attendre d’un peintre aussi au courant des ressources de son art que l’est M. Baudry. La touche pleine d’avance et de résolution porte juste, et avec une entente accomplie de la forme, les accens décisifs réservés pour la tête révèlent cette science de la figure humaine qui sait y démêler les traits significatifs, ceux sur lesquels il convient d’insister. Jusque dans l’abandon de la facture, il perce quelque chose du plaisir que pouvaient goûter à se trouver réunis deux artistes tels que ceux-là. Entre peintre et modèle on n’a pas souvent pareille aubaine. Mais, tout excellens qu’ils soient, ces deux portraits ne nous dédommagent pas cependant de l’œuvre importante qui nous avait été annoncée et que nous attendions de M. Baudry. Notre admiration a le droit d’être exigeante avec lui, car nous ne pouvons nous résigner aux déplorables conditions faites à sa décoration de l’Opéra. Il est dur de penser que ces belles peintures, ainsi placées, à une hauteur et avec un entourage qui n’auront