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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/695

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sympathiques dont, à tort ou à raison, on avait attribué l’idée à l’administration. Imaginez ce que serait la réunion dans une même salle de tous les Marat que, sur cette terre classique de la gaîté, une seule année a vus produire. Il est permis de trouver que, même sans cette préméditation, quelques-unes des salles de l’exposition sont assez richement pourvues à cet égard.

M. Moreau, de Tours, a su du moins, dans une époque si troublée, — et nous commencerons par le louer de son choix, — nous proposer un de ces purs exemples de patriotisme, de désintéressement et de modestie qui honorent tous les temps. Ce sont là des souvenirs sur lesquels il sera toujours opportun d’insister. M. Moreau l’a fait avec une entière convenance dans son La Tour d’Auvergne mort au champ d’honneur. La scène est simple et grave, et la mâle tristesse de cet hommage auquel s’associent les ennemis eux-mêmes, ce drapeau qui s’incline, ces fronts qui se découvrent devant le soldat héroïque frappé à son rang, dans le poste obscur qu’il n’a jamais voulu quitter, cette figure vénérable encadrée de longs chevaux blancs et qui garde jusque dans la mort la marque de l’énergie morale et de la distinction de l’esprit, tous ces détails significatifs trouvent dans la clarté de la composition, dans la franchise du dessin et l’expressive sobriété de la couleur, un puissant soutien. N’étaient les empâtemens un peu trop apparens et qui, indifféremment en tous sens, sabrent la toile de leur relief, la facture aussi serait irréprochable. Par la largeur de l’exécution aussi bien que par l’élévation du sentiment, M. Moreau a désormais conquis sa place au premier rang de nos peintres d’histoire.

La façon de concevoir un sujet et les dimensions mêmes d’un tableau impliquent dans le travail un certain mode d’appropriation dont les peintres ne paraissent pas toujours se préoccuper suffisamment. C’est un reproche qu’on n’adressera pas à M. Le Blant. Tout se tient dans ses œuvres, et son Bataillon carré est une des meilleures toiles du Salon. Cette masse compacte, immobile, régulièrement armée et uniformément vêtue, présentant sur ses quatre faces sa muraille de fer et de feu, forme un saisissant contraste avec les bandes désordonné s des chouans qui, des herbes où ils étaient rasés, des buissons et des roches qui les masquaient, s’ébranlent en tumulte, avec la bigarrure de leurs armes primitives et de leurs accoutremens rustiques. De part et d’autre, l’acharnement est pareil, mais l’issue de cette lutte ne saurait être douteuse et la supériorité de l’armement, aussi bien que la froideur méthodique de la résistance, auront raison des élans mal réglés de cette foule hétérogène. Un ciel gris et un paysage d’une simplicité expressive laissent à la scène toute son importance, et c’est une