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véritable invention de peintre que cette fumée blanchâtre, la seule note vive du tableau, qui éclate et pétille d’une façon sinistre autour du carré. La variété des types, l’habile disposition des groupes, le mouvement, la vie, la signification des moindres personnages, tout a été réglé avec art et semble cependant plein d’imprévu. Avec une impartialité qu’on ne trouverait jamais en défaut, M. Le Blant ne souligne rien; il se défend même de conclure, et, dans cette lutte qui met aux prises les enfans d’une même nation, il n’a jamais montré de quel côté étaient ses préférences. Il se contente d’exposer nettement les faits, de les éclairer par les contrastes auxquels il se plaît, mais dont vous ne sauriez dire qu’il abuse, et pour mettre en lumière les dons de fine observation qu’il possède, il a une exécution très personnelle, aussi serrée que souple, aussi nerveuse que correcte. M. Le Blant ne doit s’en prendre qu’à lui-même si, après son La Rochejaquelein, et surtout après cette Affaire de Fougères, nous l’invitons à sortir un peu de la Bretagne et de ses chouans. Il nous paraît avoir épuisé, pour un temps du moins, des sujets dans lesquels il aurait tort de se cantonner davantage. Son talent n’est pas de ceux qu’il faille ainsi emprisonner.

Les peintres militaires nous font à peu près défaut cette année. Le vide est regrettable, et il convenait de le signaler. Pour quelques-uns, on l’assure du moins, cette retraite ne serait point le recueillement, et dans les campagnes qu’ils songeaient à poursuivre la spéculation serait plus intéressée que l’art lui-même. Ce sont là de méchans bruits auxquels nous ne voulons pas prêter l’oreille. Il nous en coûterait de renoncer à des œuvres qui faisaient honneur à nos expositions et ajoutaient à leur variété. Quoi qu’il en soit, nous nous consolerons de cette absence en allant goûter les impressions plus calmes auxquelles nous invitent les peintres de la vie rustique. L’an dernier, M. Lerolle avait demandé à la Bible le sujet d’un tableau qui fut, à bon droit, très remarqué. C’est de la nature seule qu’il s’est inspiré cette année, et la simplicité du titre : Dans la campagne, suffit à l’œuvre et répond à la simplicité même de la donnée. Vous n’en imagineriez pas en effet de plus modeste : une jeune fille qui conduit ses moutons en pâture dans un pays plat, coupé de cultures et qu’on aperçoit entre les espacemens de grands arbres aux troncs blanchâtres. C’est bien peu, en vérité, et pourquoi donc êtes-vous ainsi attiré et retenu? Pourquoi devant ce peu de couleur, ces lignes simples et cette exécution peu apparente, sentez-vous se raviver en vous tant de souvenirs endormis, tant d’impressions que vous croyiez oubliées? Vous ne savez, et vous restez sous le charme, sans songer à analyser votre plaisir. Peu à peu ce pays si humble vous révèle ses richesses. Dans son silence et son abandon, l’automne a mis ses poésies. Ce souffle