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désertion semble aussi avoir éclairci les rangs carthaginois. Deux circonstances doivent avoir compliqué les conditions de cet itinéraire. Marseille ne doit pas être restée inactive, elle a dû agir sous main par des promesses et des dons sur les dispositions des peuplades traversées. De plus, l’armée carthaginoise, défilant avec ses armures brillantes, ses superbes chevaux, de grandes quantités d’or, dut exciter les convoitises. Il y a chez tout barbare une sorte de mauvaise foi naïve qui fait qu’il se figure toujours les trésors de l’étranger comme de bonne prise. Il se pourrait fort bien que certains chefs gaulois aient pensé qu’après avoir reçu les beaux cadeaux du Carthaginois, il était ridicule de le laisser partir sans s’être approprié de gré ou de force tout ce qu’il possédait. Une si belle occasion ne se représenterait jamais, et c’est ainsi qu’on peut le mieux s’expliquer pourquoi Hannibal, arrivé sur la rive droite du Rhône, découvrit sur l’autre rive toute une cohue gauloise qui voulait lui barrer le passage et même l’anéantir, lui et les siens.

Mais à quel endroit Hannibal a-t-il passé le Rhône? C’est là que les divergences d’opinion s’accumulent de nouveau. On peut compter sur le cours du fleuve dix points au moins désignés par des historiens sérieux comme ayant servi de lieu d’embarquement. Le commandant Hennebert, après avoir comparé toutes ces hypothèses, se prononce définitivement pour l’endroit connu sous le nom de l’Ardoise, presque en face de Caderousse, à une lieue au-dessus de Roquemaure. Voici ses raisons principales. Ne voulant pas se diriger sur le Var, Hannibal dut passer au-dessus du confluent de la Durance et du Rhône. Désireux de se voir le plus tôt possible sur la rive gauche, il ne dut pas s’éloigner plus que cela n’était nécessaire des embouchures du fleuve, et au-dessus du confluent de l’Ardèche commence la chaîne des monts à pic dominant la rive droite. Le passage a par conséquent dû s’effectuer entre la Durance et l’Ardèche. De plus, Polybe compte 1,600 stades ou 296 kilomètres d’Ampurias, les Marchés, en Espagne, au campement d’Hannibal sur le Rhône; il fixe ce campement à 600 stades ou 111 kilomètres de l’embouchure de l’Isère et à égale distance de la mer. Le fleuve, toujours d’après le même grave historien, n’est point coupé d’îles là où Hannibal l’a passé. D’autre pai t, il faut qu’à 200 stades ou 37 kilomètres de là, il y ait une île qui ait facilité à Hannon, fils de Bomilcar, le mouvement tournant dont nous allons parler. Polybe dit aussi qu’à partir des Pyrénées, Hannibal fit route « en tenant toujours la mer à sa droite, » expression qui suppose qu’il ne s’en éloigna pas beaucoup. Il ajoute que, de son temps, cette route existait toujours et qu’elle avait été toisée, munie de bornes milliaires, sans doute améliorée par les Romains. C’était