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Le plus dangereux ennemi cependant n’était pas en Vendée ou dans les châteaux, dans cette fronde de la légitimité plus chevaleresque et plus bruyante que redoutable. L’ennemi le plus sérieux et le plus menaçant était au camp républicain, dans les rues de Paris et de Lyon, dans les sociétés secrètes, dans la presse révolutionnaire, dans tout ce monde jeune, exalté, fanatisé de conspirations, toujours prêt à la sédition morale et matérielle. Terrassés en apparence aux 5 et 6 juin 1832, les républicains ne se tenaient pas pour battus, ils se remettaient à conspirer. L’année 1833 passait presque paisiblement, au moins sans crise grave ; en 1834, au mois d’avril, une double et formidable insurrection remplissait de sang et de deuil Lyon et Paris. Domptée dans la rue, l’agitation reparaissait sous une autre forme à l’occasion du procès des accusés d’avril devant la cour des pairs. C’était une lutte de tous les instans que la monarchie nouvelle avait à soutenir pendant plusieurs années, qu’elle soutenait avec toutes les ressources de la légalité et de la force contre les complots, contre l’émeute, contre les attentats menaçant déjà la vie du prince. Ministre de l’intérieur, M. Thiers n’était pas moins décidé contre les républicains que contre les légitimistes. Au besoin il payait de sa personne, et aux journées d’avril il était assez près du feu pour qu’un jeune auditeur au conseil d’état pût tomber à côté de lui percé de balles. Il ne reculait ni devant le danger personnel, ni devant la nécessité de l’action, résolu pendant le combat, toujours prêt le lendemain à couvrir de sa responsabilité devant les chambres les chefs militaires ou ses subordonnés, à tenir tête à ceux qui se plaisaient à accuser le gouvernement et ses prétendues provocations et ses « ordres impitoyables. » Il ne soutirait pas qu’on essayât d’inquiéter l’armée sur son devoir et de dénaturer les rôles dans ces cruels conflits. « Il est des vérités qu’il faut courageusement établir, disait-il. La patrie n’est pas seulement dans ce qu’on appelle le territoire ; la patrie est dans l’ordre public, dans les lois, dans les institutions. On défend sa patrie en défendant les lois tout aussi bien et avec autant d’honneur qu’en défendant le sol sur le Rhin ou aux Pyrénées… Je sais qu’on prend à tâche aujourd’hui de déshonorer la guerre civile, de blâmer l’effusion du sang français, et l’on a raison, assurément ; mais, remarquez-le bien, on la blâme amèrement dans ceux qui défendent l’ordre public, très doucement dans ceux l’attaquent. Si prôner le courage des anarchistes peut passer pour un sentiment français, ce n’est pas un bon moyen d’empêcher qu’ils ne recommencent. »

Vaincre l’anarchie par la force dans les rues et en même temps la poursuivre, l’atteindre sous toutes les formes par une série de