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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/784

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Il y a près d’un demi-siècle que M. Thiers parlait ainsi, et lorsqu’on dit aujourd’hui que ses dernières années ont démenti ces paroles, qu’il a eu depuis d’autres opinions, que, lui, autrefois si sévère, il a aidé une république à vivre, qu’on prenne bien garde. Ce sont les circonstances qui ont changé, M. Thiers n’a pas changé d’opinion et ne s’est pas contredit autant qu’on le croit. Un moment est venu en effet où, ramené au pouvoir dans un désastre, entouré de débris de gouvernemens accumulés par les révolutions, il n’a vu que la république possible, — et même alors comment s’est-il exprimé? Il a reconnu une nécessité, il ne méconnaissait pas les difficultés, il n’oubliait pas l’expérience et il ajoutait comme ressaisi par le souvenir du langage de sa jeunesse : «On dit que la république n’a jamais réussi ! C’est vrai, — j’en demande pardon à ceux qui m’écoutent, — dans les mains des républicains!.. « Il énumérait les conditions, les garanties qui pouvaient rendre une expérience nouvelle moins impossible; il n’a jamais dit que, si la république retombait exclusivement « dans les mains des républicains, » elle ne serait pas exposée de nouveau aux mêmes dangers.

En 1834, à la république impossible et anarchique il avait à opposer une monarchie libérale, vivace, populaire, qu’il mettait son orgueil à défendre contre tous les adversaires à la fois. Aux républicains de l’insurrection il disait : Vous ne passerez pis ! à l’honnête et naïf Odilon Barrot, qui reprochait au ministère du 11 octobre ses ardeurs de résistance, qui prétendait qu’on pouvait aussi « amener la république par la violence, » M. Thiers répliquait vivement : « Vous employez le mot de violence, vous, monsieur Barrot! Est-ce que vous avez oublié que le gouvernement de juillet a été le plus doux de tous les gouvernemens?.. Le gouvernement a été attaqué de toutes les manières par la diffamation, par la guerre civile, par l’assassinat, et il n’a pas versé une goutte de sang sur les échafauds. Comment se peut-il que vous, monsieur Barrot, fils de la révolution de juillet, vous ne soyez pas plus fier de ce beau résultat? » Il tenait ce langage aux républicains, aux complaisans des républicains, tandis que, d’un autre côté, il répondait à celui qu’il devait appeler un jour le a noble, courageux et éloquent Berryer » : « Dites-moi, y a-t-il justice, y a-t-il même amour sincère du principe monarchique à venir tous les jours étaler avec complaisance devant nous les difficultés de notre tâche?.. En disant en effet qu’il est impossible d’établir l’ordre dans ce pays, ne voyez-vous pas que vous accumulez de jour en jour, d’heure en heure, de parole en parole, des reproches écrasans pour vous ? Car si la France est difficile à gouverner, et elle l’est sans doute, c’est parce qu’elle