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préventions ou les répulsions contre son système de gouvernement détourneront d’elle et de son alliance les peuples qui y seraient naturellement le plus portés.

A quelque point de vue que nous nous placions, de quelque côté que nous nous tournions, une évolution libérale nous paraît la meilleure, ou mieux la seule solution possible des difficultés présentes. L’œil a beau chercher, il ne découvre pas d’autre issue. Est-ce à dire que tout serait fini par là? Nullement; un changement de régime serait moins une solution qu’un nouveau point de départ, ce serait un commencement plus encore qu’une fin.

il en est de la liberté et d’une constitution politique comme du mariage qui, dans le roman ou les comédies, est souvent un dénoûment et qui, dans la réalité, ne fait qu’inaugurer une autre vie avec ses luîtes, ses labeurs et ses épreuves.

La Russie a, croyons-nous, tout à gagnera une initiative libérale, tout à risquer dans les lenteurs et les atermoiemens du statu quo même avec la suppression des lois d’exception actuelles, même avec le retour à un ordre régulier; mais cela ne veut pas dire qu’un changement de régime, qu’une charte ou un appel à la nation calmerait comme un mot magique toutes les passions qui fermentent chez elle. Non assurément; il faut se garder de pareilles illusions, chaque forme de gouvernement a ses difficultés, et la liberté a les siennes, au début surtout. Les routes qui y conduisent sont loin d’être toujours unies, droites et faciles; elles ont elles aussi leurs obstacles et leurs fondrières, elles semblent souvent dures et tirantes, tant surtout qu’elles sont neuves et n’ont pas été frayées ou aplanies par les siècles et les générations. Pour les gouvernemens et les peuples, au nord comme au midi, il n’y a pas de repos complet, pas de station où l’on puisse s’arrêter en chemin et dormir sans souci.

Aussi n’hésiterons-nous pas à dire toute notre pensée. Si grands que nous semblent pour le pouvoir comme pour la nation les avantages d’un changement de régime, tous deux feront bien de n’en pas trop attendre sous peine de nouvelles et plus graves déceptions. Quels que soient les droits, quelles que soient les institutions concédés au peuple, il n’en faut pas trop exiger. Les machines politiques les plus ingénieuses, si bien combinées, si bien appropriées et dirigées qu’on les imagine, ne sauraient toujours marcher sans frottemens, sans arrêts ou sans accidens. Il ne faut surtout pas jouer avec elles. Ce sont des engins dangereux qu’on doit manier avec prudence; il y aurait témérité à se faire prendre la main dans leurs engrenages. L’usage seul apprend à s’en servir, l’usage seul en montre les défauts et y apporte des perfectionnemens.