Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vaubeyssard, où les sens déjà si fins d’Emma Bovary s’affinent et s’irritent au contact de la richesse et du luxe aristocratiques? Ou bien encore cet incomparable tableau de la distribution des prix aux comices agricoles d’Yonville-l’Abbaye? Ne sont-ce pas là trouvailles d’artiste et bonnes fortunes d’écrivain, — inspirations certainement « subies, » et non pas « amenées, » quoi qu’en dise Flaubert? et pouvons-nous y signaler quelque secret du métier, un quelque chose toujours qui se définisse et qui se formule?

On peut dire au moins que ce n’est plus ici la description classique. Ce n’est plus cette description par larges traits d’un ensemble posé d’abord en tant qu’ensemble, du fond duquel, à un moment donné, comme par un geste sec et d’une coupure franche, au moyen d’un « cependant, » ou d’un « tandis que, » on détache l’épisode caractéristique, pour refermer bientôt l’espèce de parenthèse et revenir à l’ensemble. Si vous voulez un bon modèle de cette forme de description, — sauf, bien entendu, le détail déjà tout romantique, — lisez dans les Martyrs la description de la bataille des Francs et des Romains. Ce n’est pas, non plus, comme dans l’art romantique, une succession d’épisodes qui se prolongent et s’entassent les uns sur les autres, aussi longtemps que le dictionnaire voudra bien subvenir aux exigences de l’artiste. Un assez curieux modèle en est l’infinie description de la vieille cathédrale dans Notre-Dame de Paris. Flaubert est revenu lui-même, trop souvent, à cette coupe descriptive, en plusieurs endroits de Salammbô. Et comme il se trouve toujours quelque élève maladroit pour détacher inopportunément les procédés du sujet qu’ils servent à traiter, nous aurons rejoint à Flaubert tous ceux qui se réclament de lui, si nous remarquons que cette façon de décrire, — par accumulation des détails, énumération des parties et reprise du tableau sous vingt angles différens, — est l’ordinaire façon, pour ne pas dire la seule, de l’auteur des Rougon-Macquart.

Ici, c’est autre chose. C’est une alternance, c’est un dialogue des élémens de l’action entre eux. Rien n’est véritablement interrompu par rien, et vous ne pouvez pas dire que rien y succède à rien, mais tout y marche ensemble, du même pas, entraîné dans le même mouvement. Tandis qu’au-dessus des têtes le ciel change insensiblement, que vous voyez passer les nuages et que vous sentez courir jusqu’au souffle du vent « soulevant les grands bonnets des paysannes, comme des ailes de papillons blancs qui s’agitent; » en même temps la foule épaisse continue de jouer son rôle de foule, vous la voyez, vous l’entendez, vous étouffez presque au milieu d’elle; et le discours emphatique du conseiller de préfecture, et le discours fleuri du président des comices continuent de se