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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/861

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polytechnique, » ou tout autre du même acabit; c’est la pâture quotidienne des nouvellistes à la main Et l’on aura beau dire, il est d’un esprit presque aussi a bourgeois » de prendre plaisir à relever de certaines sottises que de les laisser échapper. On en peut sourire, mais les recueillir, comme fait évidemment Flaubert, et les souligner d’un ricanement de triomphe et s’enorgueillir visiblement d’en reconnaître l’énormité, ce n’est faire preuve, au total, ni de tant d’esprit ni de tant de force de satire. Flaubert ne laisse pas de ressembler parfois à son curé Bournisien : il avait comme lui «la stature athlétique, » il a comme lui souvent « le rire opaque. » Au fond, la bêtise humaine, quand on essaie d’en donner la plus large définition, est un je ne sais quoi qui oscille de l’idiotie à la prétention. Pourquoi le pharmacien Homais est-il bête ? Uniquement parce qu’il est prétentieux, c’est-à-dire uniquement parce qu’à chaque fois qu’il ouvre la bouche, il affirme la conscience entière qu’il a de sa supériorité. Est-on bien sûr que Flaubert n’ait jamais donné dans cette prétention? Je crois au moins qu’il n’était pas fâché de s’entendre dire qu’il était « dur pour l’humanité. »

Par malheur, en travaillant depuis lors à se perfectionner dans le mépris de l’homme en même temps que dans le maniement du matériel de son art, il a oublié que l’ironie était fatalement inféconde. « La désillusion est le propre des faibles. Méfiez-vous des dégoûtés, ce sont presque toujours des impuissans[1]. » C’est lui-même qui l’a dit, et très bien dit. Il y a plus d’une raison de cette impuissance et de cette infécondité de la désillusion. D’abord, c’est qu’il se dissimule souvent et des idées saines, et des sentimens vrais, et des intentions délicates sous des apparences de sottise et de naïveté prudhommesque. Il le savait sans doute, puisqu’il a dit encore lui-même, « comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides. Oui! par les métaphores les plus vides, et par les gestes les plus étranges, et par les actes les plus imprévus. » Mieux encore, il avait su voir et il avait su rendre, dans Madame Bovary, — toujours Madame Bovary, — ce qu’il y avait de digne de respect dans l’humble témoignage de ces pauvres mains entr’ouvertes ; — ce qu’il y avait de profondeur d’affection paternelle sous l’écorce rugueuse du père Rouault; — ce qu’il y avait de silencieusement dévoué dans l’amour timide et discret de ce pauvre petit Justin pour Emma Bovary; — ce qu’il y avait de réelle grandeur enfin dans la placidité un peu hautaine du docteur Larivière, « plein, de cette majesté débonnaire que

  1. Dans la curieuse préface qu’il a mise aux Dernières Chansons de Louis Bouilhet et d’où nous avons tiré toutes les citations qui ne viennent pas de ses romans.