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Encore ces électeurs n’étaient-ils pas libres de désigner eux-mêmes leurs représentans. La chambre des communes déclarait avec solennité au début de chaque session que ses droits et privilèges interdisaient à tout membre du gouvernement ou de la chambre haute d’intervenir dans les élections. Simple affaire de forme que personne ne prenait au sérieux. Peu nombreux, les électeurs des bourgs étaient à la dévotion des seigneurs dont ils dépendaient. Lord Lonsdale disposait de neuf sièges à la chambre des communes ; les ducs de Newcastle et de Buckingham, lord Westminster, lord Hersford, lord Darlington, avaient chacun trois bourgs et nommaient par conséquent chacun six membres de la seconde chambre. Ce dernier ne possédait d’abord qu’un bourg dont il avait hérité ; il en avait acquis deux autres à beaux deniers ; le roi le fit marquis par récompense. Acheter un bourg était un moyen aussi bon qu’un autre, plus facile sans doute, d’arriver aux honneurs et aux dignités.

Les comtés qui nommaient aussi des représentans jouissaient-ils au moins de plus d’indépendance que les bourgs ? Nullement ; l’influence des seigneurs y prédominait tout autant. C’était un dicton que les membres pour le comté d’York étaient toujours élus dans la salle : à manger de lord Rockingham, et cependant le comté d’York était un des plus peuplés de l’Angleterre. Dans une douzaine d’autres moins importans, on n’avait pas souvenir qu’il y eût jamais eu compétition. En Écosse surtout, il n’y avait pour ainsi dire pas d’électeurs. Fife en avait 240 ; Cromarty, 9 seulement. En l’année 1831, à la veille de la réforme, l’élection du comté de Roxburg fut très disputée ; le candidat heureux obtint 40 voix et son compétiteur 19 ; cependant Roxburg avait quarante mille habitans. Mieux encore, le comté de Bute, avec quatorze mille habitans, avait vingt-et-un électeurs dont un, seul résidait dans le pays. À l’une des élections qui y eut lieu, un seul individu fut présent, en outre du shérif et du greffier. Cet unique électeur prit le siège du président, déclara la séance ouverte, lut la liste des votans et répondit à l’appel de son nom ; il vota pour lui-même, comme on pense. Puis il s’accorda gravement la parole pour appuyer son élection, et, personne n’ayant protesté, il se déclara élu à l’unanimité. Il est dans le caractère anglais de s’acquitter de ces formalités avec un sérieux parfait, mais quel dédain du vrai droit des électeurs sous ce respect exagéré des formes !

La situation était autre en Irlande, par le motif que les électeurs étaient moins rares, car les tenanciers s’y comptaient par milliers, et chacun de ceux qui payaient 40 shillings de fermage avait par cela même le droit de voter. Mais si les assemblées électorales étaient nombreuses, l’indépendance leur faisait défaut. Tantôt c’était le clergé catholique qui dictait les choix, tantôt c’étaient