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la monture? » Cela est vrai, Robert Peel a tenu ce langage; mais il y a deux manières de renforcer la monture : il y a celle qui consiste à faire de grandes dépenses, qui peuvent en effet augmenter la richesse publique; et il y en a une autre plus modeste par laquelle on lève toutes les restrictions qui gênent l’essor du commerce : on diminue les impôts afin d’abaisser le prix de la main-d’œuvre et laisser plus de ressources aux contribuables. C’est la seconde manière qu’a pratiquée Robert Peel, et c’est incontestablement la meilleure. Quand on fait de grands travaux, on n’est pas toujours sûr d’agir de la façon la plus utile. Il se peut que les capitaux qu’on y consacre eussent été mieux employés ailleurs, et si cela est, on perd d’un côté ce qu’on gagne de l’autre; on perd quelquefois plus. Supposez, par exemple, qu’en faisant ces grands travaux au-delà de ce qu’il était prudent d’entreprendre, vous augmentiez le loyer du capital et le prix de la main-d’œuvre, ce qui est une conséquence nécessaire; vous faites supporter au commerce et à l’industrie les frais de cette augmentation; cela est toujours grave et peut mener à une crise. Robert Peel a été mieux inspiré en commençant ses réformes financières par des dégrèvemens d’impôts; il a tellement développé la richesse de son pays que le montant des taxes qui ont été abandonnées depuis trente ans a été retrouvé dans la plus-value de cette richesse.

Il y a peut-être encore chez nous une autre raison pour que la politique de dégrèvement ne soit pas très populaire, c’est qu’elle n’a jamais été pratiquée sur une grande échelle. On se borne à retrancher quelques centimes de tel ou tel impôt, le contribuable ne s’en aperçoit guère, et le trésor y perd une somme plus ou moins considérable. Ainsi, dans le budget de 1881, on propose de réduire de 29 millions les taxes sur le vin, qui en rapportent 184. Ce sera environ le sixième de la taxe totale, et, si on applique le dégrèvement aux 40 millions d’hectolitres, qui sont soumis en moyenne à l’impôt, l’allègement sera de moins d’un franc par hectolitre, soit de trois quarts de centime par litre. Il n’y a pas là quelque chose qui puisse être fort apprécié par le contribuable. Maintenant si on porte le dégrèvement tout entier sur le droit d’entrée dans les villes, il ne produira pas encore grand effet. Prenons l’exemple le plus saillant, celui de la ville de Paris : le droit d’entrée au profit de l’état est dans la capitale, décimes compris, de 11 fr. 87 par hectolitre : supposons que le gouvernement en abandonne le tiers, soit environ 4 francs ; le dégrèvement sera de 0 fr. 04 par litre, et, si la ville imite la générosité de l’état et fait un sacrifice égal, il atteindra 0 fr. 08. Encore est-il très douteux qu’il profite au contribuable et que le prix du vin baisse en proportion. Il est plus