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probable au contraire que la situation restera la même et que le dégrèvement passera dans la poche des intermédiaires; le trésor et la ville auront perdu pour rien chacun 15 ou 16 millions. On en a déjà fait l’expérience plus d’une fois. En 1831, on a supprimé un certain droit qui existait sur les boissons, il n’en est résulté aucun changement dans les prix; en 1848, on a essayé d’abolir le droit d’entrée de 0 fr. 10 par kilogramme sur la viande, le prix est resté le même. Enfin il y a quelques années on a réduit les droits sur le café, le thé, le chocolat, personne ne s’en est aperçu. On a pu constater aussi ailleurs un effet semblable pour des denrées plus intéressantes; à Berlin, la suppression des droits de mouture et d’abatage qui a eu lieu il y a quelques années n’a pas diminué le prix du pain et de la viande. Si on veut faire quelque chose d’efficace, il faut dégrever plus largement et appliquer le dégrèvement à des impôts qui sont particulièrement nuisibles à la richesse publique, tels que le droit de mutation entre-vifs et d’autres taxes que nous allons indiquer.

Tout a été dit sur le droit de mutation; il s’élève aujourd’hui, décimes compris, à 6.60 pour 100 et si on y ajoute les frais d’actes et les honoraires du notaire, on arrive à grever de 10 pour 100 toute transmission d’immeuble. C’est vraiment excessif, et il en résulte que la propriété immobilière n’a pas la mobilité qu’elle devrait avoir; elle reste, au grand préjudice de tous, dans des mains qui n’ont pas les ressources nécessaires pour la faire valoir et qui n’en peuvent tirer le meilleur parti possible. C’est d’ailleurs une taxe à contre-sens ; les impôts bien établis sont ceux qui sont associés au progrès de la richesse et qui donnent plus, à mesure que celle-ci se développe. Alors personne n’en souffre, et on les paie aisément. L’impôt de mutation, au contraire, est une charge qui s’ajoute généralement à une situation malheureuse. Quand on vend une propriété immobilière, on le fait souvent par nécessité, parce qu’on a besoin de se procurer des ressources. Dans ce cas, on n’est pas très en mesure de faire la loi à son acquéreur; selon les règles, c’est cet acquéreur qui devrait payer l’impôt, mais il ne le paie qu’en apparence; en réalité, il le déduit de son prix d’acquisition, et c’est le vendeur qui le supporte, c’est-à-dire celui qui généralement est le moins aisé. Du reste, cet impôt n’a jamais pu être justifié sérieusement. C’est un souvenir de la féodalité et il ne reste dans notre législation fiscale que comme une de ces anomalies de longue date auxquelles on n’ose pas toucher. Nulle part il n’est aussi élevé qu’en France et nulle part il ne devrait être aussi abaissé, car la propriété en France est plus morcelée que partout ailleurs et par suite a plus souvent besoin de changer de mains. Dans toutes