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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/918

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Mais, par ce que M. Busson nous en montre, nous savons qu’il habite une contrée plus favorisée, gracieuse, bien coupée de cours d’eau, semée de villages aimables que couronnent des ruines pittoresques. Ces élémens sont assez riches pour attirer un peintre et tenter ses pinceaux. Mais la poésie d’une contrée ne se révèle pas tout d’un coup, et tel coin où vingt fois l’on est passé indifférent, montre suivant la saison, l’heure du jour ou l’effet de la lumière, une beauté que vous ne lui soupçonniez pas, comme si la nature s’essayait en des ébauches successives et s’y reprenait souvent avant de fixer le sens de son œuvre. Les motifs les plus simples peuvent recevoir alors une signification tout à fait imprévue. M. Busson nous le prouve avec son Abreuvoir du vieux pont de Lavardin sous un ciel d’orage. Plusieurs fois déjà l’artiste avait été séduit par les contrastes qu’offre en de pareils momens la nature et qu’avec sa richesse habituelle elle peut indéfiniment varier. Si, le plus souvent, l’aspect qu’elle nous offre dans la campagne se résume en une masse claire pour le ciel et une masse plus intense pour la terre, il y a dans le renversement de ces conditions quelque chose d’insolite et comme une rupture d’équilibre qui nous frappe toujours vivement. C’est ainsi que, projetée en plein sur des végétations qui d’ordinaire se dessinent en silhouettes foncées, la lumière arrive à les détacher en clair sur le fond assombri. Nous avons encore présent à l’esprit un des meilleurs paysages de M. Busson, où cette transposition se présentait avec l’impression du calme inquiétant et de l’immobilité absolue qui précèdent parfois les grandes luttes de l’atmosphère. Ici non plus, l’orage n’est pas encore déchaîné, mais voici déjà ses premiers frémissemens. Dans l’air, les nuages se déchirent en lourds flocons de formes étranges; sur le vieux pont des ombres mobiles promènent leurs taches tremblotantes et sèment de gris délicieux les pierres que colore un dernier rayon. Au-dessus, les arbres commencent à s’émouvoir, à se courber sous le vent et dans sa fuite rapide vous croiriez voir courir la lumière elle-même éclairant d’une traînée brillante des formes qu’elle accuse et délaisse presque aussitôt. Le grain est proche, et la pluie estompe déjà l’horizon de traînées humides. Ces oppositions et ce mouvement, M. Busson les a exprimés avec le talent que vous lui connaissez. L’entrain de l’exécution, l’à-propos de la touche, animée et ferme dans ses décisions, donnant à chaque objet le travail et le degré de fini qu’il comporte, l’éclat des lumières, la fermeté transparente des ombres, tout ici est en parfait accord avec ce que commandait le sujet.

Les deux paysages de M. Pelouse, très différens tous deux, nous révèlent sous un jour nouveau un talent qui, en progressant toujours,