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ne se lasse pas d’interroger la nature dans ses aspects les plus variés. L’an dernier, c’était un village enfoui sous la neige et un coin de verger en automne, et voici cette année une marine et une forêt au printemps. A mesure qu’il change d’horizon, les facultés d’observation se développent chez M. Pelouse ; son exécution s’assouplit et se simplifie au profit de l’unité d’impression, qu’il affirme toujours davantage. Il nous paraît avoir fait dans ce sens un pas très décisif au Salon de cette année. Dans le Banc de rochers à Concarneau, le dessin très ferme, très précis, affirme avec une netteté parfaite la logique constante qu’observe dans ses constructions la nature quand elle est abandonnée à elle-même. On sent bien que cette pointe, avec sa ceinture de granit, est comme un ouvrage avancé destiné à protéger la côte contre les assauts répétés de la mer, son éternelle ennemie. Mais l’océan est calme ce jour-là et ses vagues égales, dont M. Pelouse a délicatement exprimé la perspective, poursuivent en pulsations régulières leur continuel labeur. Vous comprenez assez quel intérêt attire les peintres vers ces grands spectacles où l’harmonie qui est au fond des choses se révèle à eux d’une façon plus évidente. Et cependant ces effets plus fugitifs que la nature nous offre dans sa vie familière ont aussi bien du charme; peut-être même exigent-ils chez l’artiste une sensibilité plus délicate et un talent plus délié. Les moyens d’expression moins formels, moins écrits dans la réalité, laissent par cela même une part plus large à l’intervention de la pensée. C’est là sans doute la raison de notre préférence pour ce tableau des Premières Feuilles, dans lequel M. Pelouse a su fixer un de ces momens passagers qui sous notre climat inégal marquent le retour du printemps. La végétation sommeille encore au cœur des arbres tardifs, et quelques feuilles obstinées grelottent au bout de leurs rameaux rigides et nus ; mais déjà les essences plus précoces ont tressailli, et la sève qui gonfle leurs bourgeons a même fait éclater quelques jeunes pousses dont la verdure flotte légèrement, ainsi qu’un brouillard répandu à travers les profondeurs du bois. Frêles comme tout ce qui commence, elles vont débuter par un dur apprentissage de l’existence, ces pauvres feuilles à peine écloses, et, dans le ciel envahi par des nuées grises, cette bande étroite de lumière pâle qui seule persiste encore ne présage que trop la rigueur de la nuit qui va suivre cette aigre journée. L’harmonie originale de tons vifs et de couleurs éteintes, le mélange de formes vagues et de contours très arrêtés caractérisent avec un à-propos remarquable ce combat entre la vie et la mort qui est particulier à cette saison. L’exécution elle-même avec une étonnante souplesse insiste ou glisse sur les détails suivant leur signification. Appuyant ici, se dérobant