Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Hanoteau, dont l’exécution paraissait avoir un peu faibli à ces derniers Salons, nous revient avec un de ses meilleurs ouvrages et résume d’une manière plus large ses consciencieuses études. Nous admirons beaucoup la simplicité et la grandeur de cette Eau dormante, où des arbres aux formes élégantes et variées reflètent leur douce verdure. L’exécution souple et discrète et les colorations tenues dans une gamme très modérée expriment bien l’abandon du lieu, et peu à peu on se sent pénétré de ce grand calme où plonge déjà cette forêt sur laquelle la nuit va bientôt tomber. C’est le réveil de la nature et la pureté d’une belle matinée que M. Isenbart a peints dans ses Marais de Bélieu. Le soleil, déjà haut au-dessus de l’horizon, achève de boire la rosée des gazons et jette çà et là quelque éclat plus vif sur les feuilles luisantes des aulnes ou sur les dernières gouttes qui scintillent encore en tremblant à l’extrémité des branches. La journée sera chaude, et il fera bon tout à l’heure chercher la fraîcheur sous les grands sapins qui sont proches et dont le même artiste, avec son dessin correct et sa franche couleur, nous montre aussi, dans sa Forêt, les imposantes colonnes et les épais ombrages.

Ces divers aspects de la campagne, les saisons, les heures du jour, l’état de l’atmosphère, moins que cela, quelques nuages au ciel, suffisent à les varier, à mettre dans la lumière, dans les ombres, dans la sécheresse ou la douceur des contours, dans la vivacité ou l’atténuation du coloris, ces modifications presque insaisissables qui donnent à la nature une physionomie si mobile et si délicate à exprimer. Il y a entre les terrains, la végétation, les eaux et le ciel des influences réciproques de colorations et des échanges continuels de reflets dont le spectacle incessamment renouvelé ravit et déconcerte les paysagistes et fournit un vaste champ à leurs observations. Comment rendre ces mille nuances, par quels procédés transporter dans un art dont les moyens d’action sont bornés cette inépuisable variété de la nature? Chacun s’ingénie de son mieux et retourne sans se lasser jamais à ces études dont le charme est si grand qu’on en oublie quelquefois les dangers et que trop souvent aussi, par crainte d’y ajouter de soi-même, on s’y laisse absorber sans conclure. Cet amour trop respectueux qui impose à l’artiste ses contraintes devait inévitablement, nous l’avons dit, amoindrir l’originalité de nos peintres et donner à leurs talens une certaine apparence d’uniformité. Malgré tout, il y a encore chez eux des différences si notables, non-seulement dans les impressions reçues, mais dans l’exécution elle-même que, sans hésitation, à première vue, vous démêlez la personnalité de chacun d’eux. L’entrain de la touche et la franchise du coloris vous dispensent de