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On croirait volontiers que, dans l’expression des sujets librement choisis par l’artiste, son originalité devrait être plus grande, et qu’avec une pleine indépendance son talent peut se déployer plus à l’aise. Il n’en est pas toujours ainsi. A quelques-uns même il semble qu’un peu de contrainte soit nécessaire, car trop souvent les choix qu’ils font, abandonnés à eux-mêmes, ne répondent ni à leur tempérament particulier, ni même aux conditions les plus élémentaires de leur art. De là des étrangetés par lesquelles ils pensent se faire remarquer, des imitations de ce qui a réussi à autrui, et jusqu’à des emprunts directs faits à d’autres arts, soit dans la composition, soit même dans les procédés d’exécution. On trouverait facilement au Salon la trace de ces diverses préoccupations qui, selon l’importance qu’elles prennent dans l’esprit de ceux qui les subissent, vicient d’autant leurs productions. L’étude désintéressée de la nature est toujours pour les jeunes gens la marche la plus certaine, celle qui à l’entrée de leur carrière leur prête le meilleur soutien et leur permet, en se rendant maîtres de leurs moyens d’expression, de chercher aussi plus sûrement leur voie. L’exposition nous offre cette année un nombre rassurant de ces études modestes, exécutées avec conscience, sans autre prétention que celle de bien faire. Parmi celles qui nous ont frappé et qui nous paraissent de bon augure pour l’avenir de leurs auteurs, nous citerons le Pyrame, de M. Goulon, le Charme, de M. Hasselberg, et le Saint Jean, de M. Perrin. La Biblis, de M. Suchetet, est aussi une étude, mais où déjà la facture et le sentiment sont très personnels. La souplesse des chairs, leur molle pénétration entre elles, la délicatesse avec laquelle elles se modèlent sur les surfaces où elles posent, la jeunesse et la langueur de cette figure couchée, la flexibilité de ses formes allongées qui semblent déjà fluides, devaient signaler ce charmant ouvrage à l’attention. Si, comme nous le pensons, il doit être exécuté en marbre, peut-être M. Suchetet devrait-il s’attacher à corriger l’effet peu gracieux que présentent le sein et le bras sur lesquels porte le poids du corps. Quant à ce que donnera cette exécution définitive, il nous paraît imprudent de le présager, et nous devons désormais réserver notre jugement sur ce point. Ce modelé du plâtre est bien séduisant ; il donne trop facilement l’illusion d’un résultat au lieu de marquer une étape et une préparation. Il y a comme un courant de mode, qui tend de plus en plus à dominer, dans ce procédé d’empâtemens et de touches morcelées qui semble emprunté à la peinture et dispense trop souvent d’une forme plus serrée et d’une exécution plus profonde. Nous pouvons voir au Salon même bien des ouvrages qui, grâce à cette apparence flatteuse, avaient été fort remarqués aux dernières