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Salons, dans ses transformations successives, n’a-t-elle pas exercé sur la marche même de l’art à notre époque une influence notable? N’est-elle point pour quelque chose dans certaines tendances assez regrettables qui s’y sont manifestées ? Nous le croyons, et c’est de nos peintres que nous entendons parler plus particulièrement ici, car plus que les sculpteurs et les architectes, à raison de la liberté plus grande que leur laisse leur art, ils ont été exposés aux tentations que nous avons à signaler, et plus qu’eux aussi, ils y ont cédé. Sans parler du luxe des cadres, ces dimensions exagérées pour des sujets minimes, ces conceptions baroques, ces silhouettes désordonnées, ces colorations criardes, cette préoccupation exclusive du paraître, toutes ces violences et ces excentricités qui s’étalent à nos expositions, ne résultent-elles pas du désir immodéré de s’y faire remarquer à tout prix et d’attirer à soi les passans? Comme dans ces réunions publiques où, pour dominer la foule, de bons poumons valent souvent mieux que de bonnes raisons, nos peintres ont cru, — et l’ampleur même du local était un peu leur excuse, — qu’il fallait crier fort. Ce fut donc à qui, dans son coin, ferait le plus beau tapage et annoncerait avec le plus de bruit les merveilles qu’il avait produites. Les mots jouant toujours un grand rôle en pareilles réclames, les titres les plus variés allaient se succédant ou se croisant d’année en année: réalistes, naturalistes, intransigeans, impressionnistes, indépendans, intentionnistes, école du blanc, ou du plein air, ou de la tache, etc.. Jamais nous n’aurions cru qu’il pût y avoir tant de sortes de peintures, ni qu’après les maîtres il restât encore tant de découvertes à faire dans leur art.

Ce n’est pas que quelques-unes de ces appellations ne renfermassent une part de nouveauté ou de vérité. Le retour à une étude plus directe de la nature devait amener, on le conçoit, une légitime réaction contre les pauvretés de lumière et de couleur auxquelles l’école académique avait réduit la peinture. Mais en isolant à plaisir chacune des qualités dont ils prétendaient avoir le monopole, les novateurs en venaient peu à peu à exclure toutes les autres, et, à se cantonner ainsi dans leur petit domaine, la vanité leur persuadait trop aisément que le monde finissait à ses limites. Qu’on se garde, par exemple, d’une peinture enfumée, noire ou roussie, et qu’on laisse au temps seul le soin de faire de vieux tableaux, rien de mieux. Mais que, sous prétexte de couleur claire, on s’interdise de parti-pris, et surtout qu’on veuille interdire à autrui l’emploi des ressources qu’offre la peinture, qu’on se prive des contrastes et des oppositions de valeurs qui sont une bonne part de son charme, c’est là un travers analogue à celui que pourrait se proposer un symphoniste qui, ayant sous la main tout un orchestre, voudrait en bannir les instrumens graves. Rubens et