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liante de paraître manquer à ses engagemens devant le sénat, il se résigne sans difficulté. Qu’une commission parlementaire considère les projets qu’il avait présentés comme non avenus et lui fasse sentir l’aiguillon, il se soumet tout aussi aisément. Projet de la commission, projet ministériel, tout cela ne fait qu’un désormais. On s’est mis d’accord aux dépens de l’institution atteinte dans son inviolabilité. Il y aura quelques conseillers de moins dans les cours, quelques juges de moins dans les tribunaux, quelques remaniemens sans importance, et, au demeurant, le dernier mot, le mot essentiel de ces propositions qui sont à l’ordre du jour le plus prochain de la chambre, c’est que pendant une année le gouvernement pourra disposer en maître de la magistrature tout entière. Des réformes vraies, sérieuses, qui seules pourraient intéresser le pays, il n’en est plus question ; il reste tout bonnement un fait simple et significatif : une épuration de personnel à pousser jusqu’au bout, un certain nombre de révocations à prononcer, un certain nombre de places à prendre et à occuper, sous le prétexte d’une réorganisation nécessaire et d’une investiture nouvelle à donner au nom de la république.

À la rigueur, on comprendrait qu’un régime tout nouveau, encore échauffé des ardeurs de la lutte et de la victoire, se laissât aller à ces tentations. Ce qui est étrange, c’est que, dix ans après l’avènement de la république, plus de cinq ans après le vote d’une constitution qui semblait mettre fin au provisoire, on en soit plus que jamais à cette politique de combat et de circonstance, à ces mesures de représailles mal déguisées, à ces expédiens de réorganisation de personnel et d’investiture qui ne répondent plus à rien. L’investiture, à l’heure qu’il est, n’a plus de signification et la violence n’a plus même d’excuse. Notez bien, en effet, que dans cet intervalle de dix années, par le cours naturel des choses, il s’est opéré un renouvellement incessant. Le gouvernement, surtout depuis deux ans, a largement usé de son initiative ; il a changé, déplacé ou révoqué autant qu’il l’a pu, dans la limite où il l’a pu, et en définitive, sur quelque deux mille cinq cents magistrats inamovibles qui existent, il y en a au moins deux mille qui ont été nommés ou promus à leurs fonctions actuelles sous la république, qui ont reçu par conséquent l’investiture du régime nouveau. Que faut-il de plus ? Où est la nécessité de suppléer à l’action du temps pour le bon plaisir des partis, de suspendre sans prévoyance, par passion, ne fût-ce que temporairement, une garantie qui a été considérée jusqu’ici comme la sauvegarde la plus efficace de l’indépendance de la justice ? Tout cela est possible, dira-t-on, mais ce n’est pas la question. L’inamovibilité, on la reconnaît puisqu’on la suspend ! Le gouvernement, avec ses projets, avec ses décrets du 29 mars, a besoin d’être armé contre la magistrature inamovible, dont la liberté pourrait lui créer des embarras. Chaque