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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/113

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s’appelait Pégase, s’offrit à le conduire et le mena aux tombeaux d’Hector et d’Achille. « Là, ajoute le prince, comme je m’aperçus que le feu brûlait presque sur les autels et qu’on venait à peine de l’éteindre, que la statue d’Hector était encore toute brillante des parfums qu’on y avait versés, je dis, les yeux fixés vers Pégase : « Eh quoi ! les habitans d’Ilion font donc des sacrifices ? » Je voulais connaître, sans en avoir l’air, quelles étaient ses opinions. Il me répondit : « Qu’y a-t-il d’étonnant qu’ils honorent le souvenir d’un grand homme, qui était leur concitoyen, comme nous faisons pour nos martyrs ? » Sa comparaison n’était pas bonne, mais eu égard aux temps la réponse ne manquait pas de finesse. Il me dit ensuite : « Allons visiter l’enceinte sacrée de Minerve Troyenne ; »et heureux de me conduire, il ouvrit la porte du temple. Il me fit voir alors les statues et me prit à témoin qu’elles étaient tout à fait intactes. Je remarquai qu’en me les montrant il ne fit rien de ce que font d’ordinaire ces impies dans des circonstances pareilles ; il ne traça pas sur son front le signe qui rappelle la mort du crucifié et ne siffla pas dans ses dents ; car c’est le fond de leur théologie de siffler, quand ils sont en présence des statues de nos dieux, et de faire le signe de la croix. » Voilà, il faut l’avouer, un évêque fort complaisant. L’habile homme avait deviné sans doute les opinions secrètes de Julien qui ne pouvaient pas échapper à des yeux pénétrans, et il voulait d’avance se mettre bien avec l’héritier du trône. Quand le paganisme triompha, Pégase se fit ouvertement païen, et d’évêque d’Ilion il devint grand prêtre des dieux. Mais il paraît qu’il ne fut pas bien accueilli dans son nouveau parti. Un ancien évêque était toujours suspect aux ennemis de l’église. Odieux à ceux qu’il avait quittés, il n’inspirait aucune confiance aux autres, et l’on rappelait, pour le perdre, qu’il avait lui aussi détruit des objets sacrés du temps qu’il voulait plaire aux chrétiens. Julien fut obligé de le défendre contre l’animadversion publique, et c’est dans ce dessein qu’il écrivit la lettre qu’on a retrouvée. Il y parle avec un ton de mauvaise humeur visible : « Pensez-vous, dit-il, que je l’aurais nommé à un sacerdoce, si j’avais cru qu’il avait jamais commis quelque impiété ? » Puis il le justifie des crimes qu’on lui reproche : s’il a couvert de haillons les statues des dieux, c’était pour leur épargner de plus grands outrages, et il n’a consenti à jeter à bas quelques pans de mur insignifians qu’afin de sauver le reste. Est-ce une raison de donner aux galiléens le plaisir de le voir malheureux et insulté ? « Croyez-moi, dit-il en finissant, il vous faut honorer non-seulement Pégase, mais tous ceux qui comme lui se sont convertis à notre foi, si nous voulons attirer les autres à nous et ne pas donner à nos ennemis l’occasion de se réjouir. Si au contraire