Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intelligence et sans avoir besoin d’un autre moteur que l’intelligence, parce que celle-ci est déjà action et qu’elle porte en elle-même son attrait propre. Il n’y a pas de motif purement abstrait et inerte, comme ceux qu’imagine une psychologie vulgaire ; tout motif est en même temps un mobile, toute idée est une tendance et, indivisiblement, une action. Principe capital dont nous avons, dans les sujets les plus divers, montré l’importance. D’après ce principe, point d’idée qui ne produise un mouvement cérébral et ne tende à s’exprimer dans nos membres, dans nos mouvemens extérieurs, dans notre conduite. Parfois la représentation de l’objet est assez intense pour imprimer à notre corps un mouvement visible ou, comme disent les savans, un mouvement de masse ; parfois elle est contrariée, affaiblie, entravée dans son développement et ne produit alors qu’un mouvement moléculaire insensible. Au fond, l’idée n’est qu’une action commencée, réfléchie sur elle-même par l’obstacle qu’elle rencontre dans les autres idées qui tendent comme elle à l’existence, et prenant ainsi conscience de soi. L’image d’un son, par exemple, est un son naissant dans le cerveau et qui se transmet jusqu’au larynx, où les muscles se dilatent et se resserrent selon le degré d’acuité du son. De là la loi suivante qui est capitale en psychologie et en morale : Entre l’intelligence et l’action il y a un moyen terme de supprimé, tandis qu’entre l’être inintelligent et l’action la nature intercale le mobile du plaisir sensible. Le plaisir sensible est un succédané, un supplément, un moyen de remédier à l’insuffisance d’une activité inintelligente : c’est le bâton de l’aveugle. Par conséquent, l’idéal moral, l’idéal d’une activité indépendante du plaisir même, toute rationnelle et en ce sens toute libre, a en soi une puissance spontanée de réalisation : l’idée de la moralité est la moralité commencée. Cette idée est le premier moteur de l’évolution morale telle que nous la comprenons, et dès que l’homme l’a conçue, il n’est déjà plus dans le pur égoïsme où il se trouvait originellement plongé. La pensée que je pourrais sortir de moi et que, pour un être intelligent capable de concevoir l’univers, il serait bon d’en sortir effectivement, n’est déjà plus « la gravitation sur soi ; » le moi qui songe à se désintéresser et à aimer n’est déjà plus le « moi haïssable. » Cette pensée et ce désir du désintéressement ne restent jamais entièrement stériles ni purement platoniques : ils se traduisent en actes, d’abord quand il n’y a pas besoin pour cela d’un grand effort sur l’égoïsme et qu’on peut faire plaisir à autrui sans grande peine ; puis, quand il y a besoin d’un effort plus considérable, enfin (l’exercice accroissant la force) quand il y a besoin d’un vrai sacrifice. Ainsi l’idée descend dans les actes, qui en sont la réalisation progressive et qui se modèlent sur le type